Moira Walley-Becket (Prison Break) reprend un classique de la littérature canadienne Anne of Green Gables, de L.M. Montgomery (1908). Cette série dramatique est l’occasion de découvrir la cote un peu plus douce de l’Est canadien (mais non moins majestueuse) et le portrait d’une famille atypique d’une grande sensibilité.
L’intrigue se déroule au début du Xxeme siècle, sur l’île du prince Edouard, sur la côte est du Canada. Anne, une orpheline de 13 ans, arrive chez Matthew et Marilla Cuthbert, frère et sœur célibataires, propriétaires d’une ferme isolée. Les Cuthbert attendaient un garçon pour aider à la ferme (ils sont tous les deux un peu vieillissants) et se retrouvent avec cette jeune fille rousse, un peu maigrichonne, à la langue bien pendue qui cite Jane Eyre et invente un milliard d’histoires merveilleuses. Une fille leur serait a priori d’aucune utilité et Anne doit repartir le lendemain. L’enfant, malgré son flot presque ininterrompu de paroles et ses manières un peu fantasques, est attachante et surtout courageuse. Son retour à l’orphelinat n’est pas si certain…
Anne est un peu aux Canadiens ce que Laura Ingalls est aux Américains ou Fifi Brindacier aux Suédois. L’œuvre a été adaptée un certains nombres de fois, au petit écran notamment, dans un style un peu précieux (comme La petite maison dans la prairie). La nouvelle série nous propose un tout autre panorama, plus réaliste et de fait plus poétique. C’est aussi un véritable portrait de cette petite fille à l’imagination débordante et l’intelligence vive. Elle incarne tout à la fois marginalité et modernité d’esprit. Anne parle, parle et parle (et les mots ont une importance toute particulière à ses yeux, elle déclare : « les grandes idées s’expriment par de grands mots ! »). Ce faisant elle prend plus de place qu’une enfant banale (à qui l’on apprend à se taire) et questionne le monde entier. Elle revendique également une certaine égalité avec les adultes, les hommes, parce qu’elle ne voit pas de raison logique à certaines bonnes manières ou mœurs (l’épisode où Anne a ses règles pour la première fois est particulièrement réjouissant ! ). C’est un personnage hautement contestataire et transgressif. Cependant, elle souffre de ses différences, plus encore peut-être parce qu’elle est dans une période de sa vie où le regard des autres est central, et se retient régulièrement d’être elle-même dans une communauté où elle est doublement étrangère : elle vient de Nouvelle-Ecosse (du continent) et ses origines sont obscures. Son intégration à sa famille, puis la communauté sera houleuse. C’est une personnalité complexe, enfant par la taille et ses rêveries, adulte dans la langue et certaines expériences douloureuses. L’histoire d’Anne n’est pas rose. D’enfance elle n’a finalement jamais connu que le mot. En effet, trimballée entre l’orphelinat où elle était martyrisée et les familles « d’accueil » par lesquelles elle est exploitée et battue, elle n’a jamais été protégée ou aimée. Pourtant, et c’est là sa grande force, elle n’a rien d’un personnage pitoyable (son imagination est son arme).
La réalisatrice explique que la force réaliste de cette nouvelle adaptation est presque documentaire dans la précision des détails dans le décor mais aussi les costumes (la manière de griller le pain directement sur le poêle, les petits pots de yaourt qui refroidissent dans le ruisseau, le pardessus brodé du lit…). Les scènes de nuit sont éclairées à la bougie uniquement. Très régulièrement, on serait tenté de mettre « pause » pour observer l’image comme un tableau, portrait ou paysage.
La série est disponible en streaming sur Netflix depuis Mars et la saison 2 est prévue pour 2018.
La série est un délice, on la boit d’un trait et on y revient pour mieux voir encore. Un délice, « that’s the right name, I know it because of the thrill » (Anne to Mattew).