Salem. Un nom qui fait frissonner. Un nom fantasmatique. Salem. Le grand procès des sorcières. Le grand procès des femmes.
Le dernier ouvrage de Thomas Gilbert (Oklahoma Boy, Bjorn le Morphir), nous fait vibrer de plaisir parce qu’il est magnifique, mais aussi de tristesse, de colère parce qu’il nous donne à voir une réalité sanglante, horrifique.
Les filles de Salem est inspiré des faits historiques qui se sont déroulés à la fin du XVIIeme siècle dans le Massachusetts, plus particulièrement dans le petit village de Salem. Faits qui ont mené à l’exécution de près de trente femmes et à l’emprisonnement d’une centaine d’autres, toutes accusées de sorcellerie.
Un petit notable déclare à un moment donné : « Je souhaite quand même qu’on se souvienne de Salem pour autre chose que ce procès ». Raté. Mais tout en s’inspirant de l’Histoire, Thomas Gilbert propose un récit féministe. Il donne la parole aux accusées, aux grandes victimes de la violence physique, verbale et morale des hommes.
Abigael Hobbs, quatorze ans, narre ce dont elle a été le témoin et surtout ce qu’elle a vécu. Sa trajectoire personnelle est intimement liée à celle de son village, d’apparence si ordinaire. Tout bascule pour la jeune fille lorsqu’elle entre (malgré elle) dans l’âge de femme. C’est un mur de silence et de discrétion qui s’abat alors sur elle.
Les couches de tension se superposent et s’entremêlent dans le récit, jusqu’à cette crise d’ampleur inédite. Disettes à répétition, puritanisme exacerbé et abus de pouvoir… tout mène à une haine de l’Autre, qui a pour but d’expier le Mal qui semble s’abattre sur Salem. Mais qui est l’autre ? Les indigènes, les catholiques, les femmes…
Une violence quasi viscérale s’exprime, d’abord timidement puis franchement, à visage découvert. C’est une forme d’hystérie collective dont les accusé.e.s sont peut-être les plus sain.e.s d’esprit. Malgré la dureté du propos mais aussi souvent du trait, du dessin, impossible de lâcher la lecture. D’abord, par curiosité, peut-être même éprouve-t-on un certain plaisir à observer ce spectacle sanglant mais surtout grâce aux petites échappés de liberté qui permettent de respirer dans cette atmosphère oppressante. Et puis l’espoir, même si nous savons comment tout cela se terminera. De par son versant historique, le lecteur ou la lectrice se trouvent aussi dans l’obligation de se confronter aux faits, aussi durs soient-ils.
Une lecture qui vient vous remuer au creux du ventre et qui donne envie de crier. Crier pour ces femmes pendues à la branche de la bêtise collective et de la lâcheté.
Thomas Gilbert, Les filles de Salem, comment nous avons condamné nos enfants, Dargaud, septembre 2018, 22€
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