Un article rédigé par Armand.
En Novembre 1964 sort l’album Les Copains d’Abord, dont deux chansons choquent beaucoup : Les Deux Oncles et La Tondue. Qui d’autre que Brassens aurait pu, en pleine période gaullienne, défendre les tondues de la libération ? Ces femmes ont subi un crime sexiste à grande échelle, mais qui a rapidement été effacé par le mythe Résistant instauré par le Général de Gaulle. Découvrons donc, à travers les mots de Georges Brassens, ce que ces femmes ont vécu !
Pendant l’occupation déjà cette punition archaïque, auparavant réservée aux prostituées et femmes « souillées » (c’est-à-dire celles qui ont perdu leur virginité avant le mariage), est utilisée pour menacer les collaborateurs français : à partir de 1943, on trouve des traces de tontes clandestines d’hommes et femmes accusé•e•s de collaboration. Puis, au fur et à mesure de la libération, ces exactions dites « extra-légales » se manifestent dans 70 des 90 départements français. Pendant l’été et l’automne 1944, une France encore faible et fracturée assiste au lynchage de centaines de femmes accusées de « collaboration horizontale », mais aussi d’avoir dénoncé un résistant, collaboré, ou simplement produit du travail pour un allemand. La pratique s’atténue durant l’hiver, et réapparaît en 1945 avec le retour des déportés et requis du STO. Le public étant devenu mal à l’aise face à ces tontes, elles ne durent que peu de temps et disparaissent entièrement en 1946.
Evidemment, on ne retiendra des victimes de la tonte que celles accusées d’avoir couché avec l’ennemi. Les hommes ayant couché avec les allemandes n’ont quant à eux aucune peine : les exactions s’inscrivent dans une période où les hommes rentrés des camps et des combats cherchent à réaffirmer leur virilité face à des femmes qui ont vécu seules, qui ont réussi à convaincre la société de leur capacité à voter. La France tout juste libérée du joug des nazis était donc bien secouée par des crimes sexistes. Quelques personnalités de gauche se sont tout de suite opposées à la tonte des femmes, dont notamment Paul Eluard qui écrivit Comprenne qui voudra en Août 1944 (il ne le publia qu’en décembre), mais il•elle•s furent vite dépassé•e•s par la vague Gaulliste qui submerge la France d’après-guerre, apportant avec elle le mythe résistancialiste.
Moi mon remords ce fut
Paul Eluard, Comprenne qui voudra, 1944
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
À la robe déchirée
Au regard d’enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés […]
C’est dans ce contexte que Georges Brassens écrit la Tondue : comme à son habitude il fait fi de toutes les conventions de son époque, et s’engage là où aucun autre ne s’engagea avant les années 1990. En interview, il raconte : « On ne reprochait à personne, par exemple, d’avoir couché avec une Allemande. On les tondait pas, les mecs qui s’étaient tapé des Allemandes. (…) c’était très mal vu de coucher avec un Allemand, mais c’était très bien vu de coucher avec une Allemande. Et c’est une des raisons pour lesquelles je ne regrette pas de ne pas avoir participé, même de très loin, à cela. ». Face au machisme ambiant, il fait preuve de féminisme, face à la violence il exprime son pacifisme.
« Les braves sans-culott’s et les bonnets phrygiens
La Tondue, Georges Brassens
Et les bonnets phrygiens
Ont livré sa crinière à un tondeur de chiens
A un tondeur de chiens »
Le poète-chanteur choque car il ose diffamer la période de la Libération, et va même jusqu’à mettre dans le même sac les révolutionnaires d’antan ! Il ne lui suffit pas de s’attaquer aux épurateurs, il s’attaque aussi à tous ceux qui défendent ce ‘patriotisme’ en évoquant la période révolutionnaire.
J’aurais dû prendre un peu parti pour sa toison
Parti pour sa toison
J’aurais dû dire un mot pour sauver son chignon
Pour sauver son chignon
Mais je n’ai pas bougé du fond de ma torpeur
Du fond de ma torpeur
Les coupeurs de cheveux en quatre m’ont fait peur
En quatre m’ont fait peur
La Tondue, Georges Brassens
Brassens ne se présente pas pour autant comme un héros : malgré son désaccord, il a laissé le « tondeur de chiens » raser le crâne de ces femmes. Avouant son impuissance, et allant même jusqu’à avouer sa peur, il nous empêche toute représentation manichéenne de cette période. Y a-t-il plus courageux qu’avouer sa propre crainte ?
Pire qu’une brosse, elle eut été tondue
Elle eut été tondue
J’ai dit : » C’est malheureux, ces accroch’-c ur perdus
Ces accroch’-c ur perdus «
Et, ramassant l’un d’eux qui traînait dans l’ornière
Qui traînait dans l’ornière
Je l’ai, comme une fleur, mis à ma boutonnière
Mis à ma boutonnière
La Tondue, Georges Brassens
Les cheveux coupés, symboles d’humiliation, deviennent à la boutonnière du musicien une fierté. L’accroche-cœur remplace la croix de guerre du combattant : c’est une révolte silencieuse, une dissidence passive dont fait preuve l’auteur pour s’opposer à ce qu’il considère être un crime.
« J’ai ma rosette à moi : c’est un accroche-cœur »
Fin de la chanson : c’est avec tendresse que Brassens conclut son pamphlet, une tendresse qui est en contrepoint avec la cruauté des hommes.
Lien pour écouter La Tondue :
Vous l’aurez compris, je suis un grand admirateur (pour ne pas dire fanboy) de Georges Brassens, et la gravité du sujet m’a poussé à utiliser une langue châtiée. Mais comme il le faisait si bien, j’aimerais me permettre un léger écart de langage pour féliciter le grand Georges : yas queen, on stan ton engagement !
2 Commentaires
Pas ouf
je ne suis pas d’accord avec la personne d’en haut, cet article est excellemment bien rédigé et m’a beaucoup servi.
Bravo à l’auteur !