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Devons-nous nécessairement voyager loin ?

Posté par SandraK 3 septembre 2019


À l’heure où l’effondrement de notre biodiversité nous pend au nez, où les +2°C sont devenus un espoir (les prévisions seraient en effet bien supérieures notamment à cause d’un effet boule de neige mais ce n’est pas le sujet ici), la question des conséquences de nos actes doit évidemment être posée. Si voyager est devenu un acte anodin, les répercussions écologiques doivent être prises en compte. En outre, à une époque où nous vivons de plus en plus à travers les yeux des autres, il serait judicieux de questionner nos désirs d’ailleurs.

L’approche peut paraître un peu moraliste, c’est d’ailleurs ce qui freine la majorité des gens quand ils entendent parler d’écologie. Mais j’aimerais poser la question du voyage d’une façon plus globale. Il ne s’agit pas seulement d’écologie mais aussi du mythe autour du voyage.

Erasmus

La première chose qui me vient à l’esprit quand je pense au voyage c’est « l’enrichissement ». En effet, dans le milieu plutôt privilégié dans lequel j’ai grandi, le voyage est synonyme non pas de vacances mais d’apprentissage. En témoigne le Graal de tout·e étudiant·e : l’Erasmus.

Bon nombre de mes ami·e·s ont d’ailleurs été « obligé·e·s » de partir car ces quelques mois à l’étranger faisaient partie intégrante de leur cursus. Pour certain·e·s, ce départ a effectivement été « un tournant inoubliable » dans leur vie mais il ne faut pas oublier les autres pour qui cette année aura été une expérience banale voire une mauvaise expérience. Avons-nous seulement le droit de ne pas avoir apprécié son Erasmus ?

L’injonction à partir loin est telle qu’on ne manque pas de regarder avec pitié un étudiant·e qui n’aura pas fait d’Erasmus « tu as loupé quelque chose » « c’est une expérience bouleversante » « tu devrais quand même arrêter de bosser un an pour voyager histoire de voir » (j’exagère à peine).

Je dis bien partir loin car apparemment aucun Erasmus n’existe pour partir 6 mois en Bretagne !

Voyages low-cost

Un phénomène autre que les Erasmus mais dont les contours sont sensiblement les mêmes (le voyage comme ressource, enrichissement..) est le voyage low-cost. Je ne compte plus mes abonnements Instagram qui partent 2, 3 voire 4 fois par an en avion – pour évidemment bien moins cher que tout autre transport. Les Parisien·ne·s peuvent même se permettre de partir pour 2/3 jours ! Quand on sait que l’avion est 1500x plus émetteur que le train, 125x plus que la voiture, on se demande si on n’essaye pas de juste crever le plus vite possible.

Bien évidemment, les usagers ne sont pas les seuls responsables, le prix du train est aberrant et les petites lignes disparaissent constamment. Mais (parce qu’il y a toujours un mais), un voyage en train ne permet pas d’atteindre ces destinations aussi rapidement, il ne permet pas d’aller en Amérique du Sud, au Japon, en Australie. Et si les gens réalisent de plus en plus les enjeux écologiques, ils sont peu à remettre en question leurs destinations à l’étranger.

Consommation

Finalement, le voyage est devenu une consommation comme une autre. On veut en accumuler le plus possible, on achète des cartes du monde où on gratte les pays qu’on a visités comme un tableau de chasse. On poste le maximum de photos sur Instagram pour montrer qu’on est ultra cool (d’ailleurs on a généralement « Traveler » dans sa bio). Et bien évidemment, malgré les prix bas, comme dans tout système capitaliste qui se respecte, ce sont les riches qui en profitent le plus. Parce que (et il est très important de le souligner) ce ne sont pas les pauvres qui prennent l’avion, les pauvres (quand ils peuvent partir en vacances) voyagent en voiture. Et la consommation de voyage n’est pas qu’une histoire de prix mais d’habitudes. 56 % de celles et ceux qui ne partent pas ne sont jamais partis ; quand celles et ceux qui ont pris l’habitude de voyager, de prendre l’avion continueront en grandissant.

« Plus on monte dans l’échelle sociale, plus on a de chances de s’échapper. Parce que l’on gagne davantage, mais aussi parce que cela fait partie de son mode de vie. Par exemple, parce qu’on a eu l’habitude de voyager avec ses parents (on y a pris goût, on se sent rassuré hors de chez soi), parce qu’on parle une langue étrangère (pour les voyages lointains). Mais aussi parce que ses amis voyagent et que raconter ses vacances lointaines (et les mettre en scène sur différents supports) fait partie de la sociabilité, de l’image qu’on renvoie de sa famille notamment. »

https://www.inegalites.fr/Qui-va-partir-en-vacances?id_theme=19

Le voyage, une violence sociale

À la rentrée, après deux mois d’été, que ce soit en cours d’anglais ou dans la cours de récré la même question fuse « tu es parti·e où toi ? ».

Pourtant le taux de personnes à partir en vacances en 2014 était de seulement 60% contre 75% en 1990. Et si 80% des familles très aisées prennent des vacances régulièrement, à peine « 40% des personnes aux revenus inférieurs à 1 200 euros mensuels ont quitté leur domicile pour des congés en 2014 ».

D’ailleurs, quand on n’a pas les moyens, le voyage n’a pas la même résonance. Il est synonyme de dépenses et donc d’anxiété. En particulier les femmes qui portent la charge mentale (du budget, des aménagements avec les enfants etc…).

Force est de constater que le voyage est une fracture sociale et ne représente pas la même chose pour les un·e·s et pour les autres.

Une pensée par exemple pour les étudiant·e·s qui passent les mois de juillet et août à travailler tandis que leurs camarades se la coulent douce aux Baléares.

Repenser le voyage

Le désir de voyager a de multiples explications et aucun désir n’est condamnable en soi. Mais (oui je l’ai dit il y a toujours des mais !) comme tout désir, il peut être parfois utile voire indispensable de le raisonner notamment dans un monde qui change (et c’est un euphémisme).

Je n’invente rien puisque le voyage alternatif a déjà son anglicisme « le slow-travel ». Je lui préfère le concept de « voyage local » que MelleBene utilise dans ses posts sur le sujet.

Je ne veux ici rien imposer mais juste transmettre mon expérience.

Je viens d’une famille de profs et ma famille paternelle n’est composée quasiment que d’immigré·e·s. Si ma mère (qui vit seule) n’est pas trop branchée voyage (sûrement trop stressant), mon père a toujours eu des projets de vacances. Comme il avait les vacances scolaires, nous partions souvent, plusieurs fois dans l’année. Souvent en France, quelque fois à l’étranger (en Europe), une fois aux USA où vit sa famille. Bref, pour lui les vacances commençaient quand on était en dehors de chez nous. Il m’a donné un certain goût du voyage mais très modeste. Et en grandissant, en évoluant et en organisant mes propres voyages, je me suis rendue compte que je le faisais par habitude et imitation. Chez bon nombre de mes fréquentations, les vacances n’avaient de sens que par : avoir des projets de voyage.

La vérité c’est que partir loin ne me vend pas du rêve. Je ne veux plus prendre l’avion et passer des heures en voiture ou en train m’angoisse. Bien sûr, je mentirais si je disais que des lieux lointains ne m’attirent pas. Mais je vois beaucoup plus de contraintes dans le voyage que de plaisir.

J’ai envie de voyager différemment. J’ai envie de voyager juste pour changer d’air mais pas pour visiter des trucs du matin au soir, dépenser des centaines d’euros en restaurant, dormir dans des trucs pourris parce que tout l’argent est parti dans les transports, changer de lieu constamment et multiplier mon empreinte carbone par 8…

Oui, j’ai envie de voyager dans le coin. Découvrir les petits villages de ma région, rester deux semaines au même endroit pour profiter vraiment. Et même rester chez moi, quand je ne travaille pas.

J’ai de la famille partout au Japon et aux États-Unis. Toute ma famille paternelle a bougé, beaucoup, souvent, souvent contrainte. Peut-être par contraste, je voudrais profiter d’un lieu fixe, me poser. Peut-être est-ce une question d’époque, je n’en sais rien. Tout ce que je sais c’est que partir loin ne m’a rien apporté de spécial.

Cet article en révoltera plus d’un·e, sûrement parce qu’il vise directement nos habitudes, nos petits plaisirs. Faites-en ce que vous voulez, je ne donne d’ordre à personne, cela me trottait simplement dans la tête depuis longtemps, parce que je pense souvent à celles et ceux qui ne peuvent pas partir, celles et ceux qui ne veulent pas partir et qui sont inondé·e·s, constamment, de l’injonction à voyager loin pour être (vraiment) heureu·x·se, vraiment épanoui·e, vraiment accompli·e.

Sources

https://www.inegalites.fr/Qui-va-partir-en-vacances?id_theme=19

https://www.huffingtonpost.fr/2012/07/30/vacances-fracture-classes-sociales-departs-baisse_n_1718378.html

https://www.slate.fr/story/177042/impact-transport-aerien-rechauffement-climatique-pollution-avion

https://www.scienceshumaines.com/les-vacances-en-milieu-populaire_fr_750.html

1 Commentaire

Klaus 4 septembre 2019 at 10 h 29 min

On peut se mette aussi au cyclo-tourisme 😉

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