Idées

Droits de l’homme et division de la gauche

Posté par Beaumont 13 juin 2017

Droits de l’homme et division de la gauche

Les élections législatives en France témoignent une nouvelle fois de l’incapacité de la gauche à s’unir pour constituer une force électorale susceptible d’offrir une alternative crédible au gouvernement des riches par les riches. Le peuple de gauche est éclaté façon puzzle : on en trouve des morceaux chez les idéalistes déçus du parti des abstentionnistes, chez les combatifs de la France insoumise, chez les éternels communistes ou trotskistes, chez les verts écologistes, et même chez quelques attardés du parti socialiste, ou dans des mouvements naissants tellement honteux qu’ils n’osent plus rien proposer sinon de relayer le moment venu les attentes des citoyens à l’Assemblée.
Passée l’expression hébétée d’un bon sens élémentaire malheureusement rétrospectif – « Ô bah mince on aurait pu être au 2e tour si on avait fait une alliance ! » – il devient nécessaire de comprendre les motifs intellectuels plus profonds du désaccord persistant entre les différentes tendances de la gauche.
Si quelqu’un se dit de gauche ou vote à gauche, il peut le faire pour plusieurs raisons, ou du moins hiérarchiser différemment ses raisons. L’un va d’abord dénoncer la corruption régnante, la monarchie présidentielle ou les atteintes aux libertés individuelles. L’autre n’aura de cesse de combattre le capitalisme mondialisé, les profits iniques des actionnaires, la destruction des services publics et du code du travail.
Cette divergence n’est pas simplement une question de sensibilité. Son histoire est séculaire : on peut remonter à la Révolution française et à l’opposition dans l’Assemblée entre les Girondins et les Montagnards. On peut aussi s’appuyer sur les deux conceptions majeures du droit qui traversent les déclarations des droits de l’homme depuis 1789.
La première déclaration de 1789 octroie surtout des droits politiques, qu’on peut aussi appeler des « droits-libertés ». Ce sont des libertés individuelles dont la collectivité ne doit pas empêcher l’exercice : Ce sont des « droits de » ou des « libertés de » : liberté de conscience, d’expression, de manifestation, liberté de la presse, droit de posséder, de commercer ou d’entreprendre.
La déclaration de 1793, puis celle de 1946, ajoutent aux droits politiques des droits économiques et sociaux, ou « droits-créances ». Ce sont des « droits à », ce qui signifient que la collectivité non seulement n’empêche pas les individus de jouir de leurs libertés, mais aussi qu’elle leur fournit activement quelque chose : le droit aux moyens de subsistance, le droit au logement, à la santé, à l’instruction, au travail. Par exemple, l’article 21 de la déclaration de 1793 proclame : « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler. »
Pour le dire grossièrement, on peut opposer une gauche libérale et démocrate à une gauche sociale. Une gauche qui s’indigne quand le gouvernement vénézuélien réprime durement une manifestation d’opposition ; une gauche en joie quand le même gouvernement légifère pour réduire la pauvreté et favoriser l’accès aux soins et à l’éducation des plus démunis.
L’idéal progressiste de la gauche impose évidemment de penser ensemble le progrès des droits politiques et sociaux, et l’opposition des deux gauches n’est pas une nécessité : elle est plutôt la meilleure arme de la droite ! En effet, mettre exclusivement en avant les droits politiques pour masquer le mépris des droits économiques et sociaux est désormais devenu une arme idéologique et électorale puissante.
On l’a vu avec le quinquennat Hollande, dont la seule mesure de gauche fut d’accorder un nouveau « droit-liberté » aux couples homosexuels au printemps 2013, pendant qu’un Accord National Interprofessionnel facilitait les démarches de licenciement pour les patrons.
On le verra avec Macron et sans doute dès cet été, lorsqu’on discutera démocratiquement du cannabis ou de l’Islam, pendant que l’Assemblée en marche militaire votera le démantèlement des droits des salariés.
Il faudrait alors que les gauches soient capables de s’unir et de choisir leurs priorités : Est-il raisonnable de tomber dans le piège tendu par l’agenda politique et médiatique, et qui consiste à s’entre-déchirer sur le droit de fumer de l’herbe ou celui de porter un burkini sur la plage, quand 13 % de la population ne peut pas se loger ni se soigner décemment ?
Sur la distinction entre droits politiques et droits sociaux, cf notamment Georges BURDEAU,  E.U., Marcel PRÉLOT, Pierre LAVIGNE, Gérard COHEN-JONATHAN, « DROITS DE L’HOMME  », Encyclopædia Universalis [en ligne].
URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/droits-de-l-homme/

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