C’est quoi l’éducation sexuelle ? Tu sais, ces deux-trois interventions toutes pourries données en cours de SVT en classe de troisième, où on t’a parlé du VIH et, tu sais pas pourquoi, mais l’infirmière en charge de l’intervention a fini par parler du tabagisme parce que c’est une drogue et que c’est pas bien et oh mince, on a oublié de montrer comment on met un préservatif ! Je sais pas pour toi, mais mon expérience de l’éducation sexuelle, c’est quelques interventions mineures en classe de troisième, Le Guide Du Zizi Sexuel, et c’est tout. Dans cet article, j’ai envie de t’expliquer pourquoi une éducation à la sexualité est cruciale pour l’avancée de notre société, te présenter ses problèmes majeurs actuellement et proposer des solutions.
L’éducation sexuelle perpétue les stéréotypes de genre
Actuellement, les guides à destination des intervenant.e.s véhiculent des stéréotypes binaires de ce qu’est un homme et de ce qu’est une femme. Ainsi, les garçons auraient des besoins sexuels plus importants, seraient demandeurs de sexe et auraient une propension à la violence plus importante que les filles qui seraient sexuellement réservées, passives et romantiques. Évidemment, c’est faux. Ce sont des injonctions sociales, pas des vérités naturelles. Dans ces interventions, on véhicule l’idée d’une naturalisation des différences entre une sexualité féminine affective et une sexualité masculine mécanique. On apprend ainsi aux enfants qu’il y a une explication psychologique à cette sexualité patriarcale plutôt que de donner des outils aux enfants et adolescent.e.s pour la démanteler. Laisse-moi te donner un exemple tiré d’un guide publié en 2006 (et je n’ai pas trouvé la preuve de son retrait du circuit) : « le fait que les filles aient accès à l’intériorité du cycle menstruel semble favoriser l’intériorisation des règles, alors que beaucoup des garçons vont chercher à l’extérieur (dans des conduites illicites ou délinquantes notamment, dans les délits, dans des comportements “à risques”) ce qui n’est pas présent à l’intérieur de leur corps ». Ouais, c’est grave.
Cette éducation à la naturalisation d’une différence entre les filles et les garçons soulève une quantité de problèmes, comme celui de l’injonction sociale intériorisée par les filles à trouver le « prince charmant », ce qui rend difficile pour elles d’envisager sans malaise des relations courtes, sans forcément de sentiments amoureux, alors que c’est souvent le cas pendant la jeunesse. Or, il se trouve que les garçons n’intègrent pas cette injonction (comme prouvé par l’Enquête sur la sexualité en France). Pour mieux saisir cet écart entre hommes et femmes, permets moi de te citer l’article d’Isabelle Clair, « Le « pédé », la pute et l’ordre hétérosexuel » : « « Pute » et « pédé » renvoient à deux dimensions de l’ordre hétérosexuel. D’une part, la différenciation des sexes : chaque sexe a sa propre figure repoussoir et le risque de s’y voir associé·e n’est pas le même. D’autre part, la hiérarchisation des sexes : alors que les garçons doivent faire la preuve continue qu’ils ne sont pas des « pédés », c’est-à-dire qu’ils ont leur place dans le groupe de sexe dominant, les filles sont a priori suspectes d’êtres toutes des « putes », du fait de leur position inévitablement inférieure dans la classification des groupes de sexe. Le stigmate dans le premier cas est individuel et sert de rappel à l’ordre pour l’ensemble du groupe des garçons : il dessine le périmètre « du masculin » par l’exclusion de quelques-uns. Dans le deuxième cas, le stigmate est collectif : il constitue un des ressorts « du féminin », et les filles doivent individuellement faire la preuve de leur capacité à lutter contre leur faiblesse, supposée constitutive de leur sexe. La « nature » (c’est-à-dire l’ordre social) fait les garçons garçons : les individus homosexuels ou étiquetés comme tels sont contre- nature, et pour cela peuvent être durement sanctionnés. La « nature » fait les filles « putes » : pour cela, elles sont méprisées collectivement, valorisées uniquement quand elles échappent à leur stigmate ; du fait que la maternité est rarement accessible aux jeunes filles, elles ont d’autres moyens de se faire « respectables » : viriles ou éventuellement religieuses quand elles ne sont pas en couple, amoureuses, obéissantes et fidèles quand elles le sont. »
La grave erreur de l’hétéronormativité
L’hétéronormativité, c’est l’obligation implicite d’être hétérosexuel.le dans notre société. Elle se manifeste par des discriminations légales, comme l’accès au mariage et à la parentalité et par les violences homophobes qui touchent directement les enfants à travers les images véhiculées par la télé, Internet et tout autre moyen de communication (exs : la Manif Pour Tous, les tabassages en sortie de boîte de nuit, les meurtres homophobes, etc.) Dans les cours d’éducation sexuelle, l’homosexualité est présentée comme un problème psychologique douloureux. Quand on en parle, on ne la met pas sur un pied d’égalité avec l’hétérosexualité, et l’homosexualité féminine est complètement invisibilisée. Cela prouve que 1. Les normes hétérosexuelles sont omniprésentes dans l’éducation sexuelle, et que 2. La sexualité des femmes est socialement moins valorisée que celle des hommes, puisqu’on parle de l’homosexualité masculine — bien que son évocation soit teintée d’homophobie, puisqu’on l’abordera quasi-exclusivement dans le cadre de la prévention du VIH.
Et ne nous lançons pas sur l’outrageante invisibilisation de la transidentité qui provoque une terrible « panique morale adulte » (je reviens sur cette idée ultérieurement). Hors de question de dire à un enfant que ce n’est pas parce qu’il a des testicules qu’il est forcément un garçon !! Sous prétexte que cela créerait de la confusion. Alors que, en réalité, faire comprendre aux enfants l’existence de ce cas de figure pourrait épargner des années de souffrance à certain.e.s, tout en apprenant à d’autres la tolérance, de sorte que la transphobie ne soit pas de nouveau transmise à la génération suivante.
L’absence de la notion de consentement
De façon générale, le cadre officiel de l’éducation sexuelle française (et de d’autres pays également) se réfère peu à la question des inégalités entre les sexes et les sexualités, ni à la lutte contre les inégalités sociales. Par exemple, elle perpétue l’idée reçue que les violences sexuelles au sein des jeunes sont perpétrées par des garçons de classe sociale basse. Or, même si elles touchent en effet bien plus les femmes que les hommes, il n’y a aucune différence entre les groupes sociaux. A travers le silence face aux élèves, l’éducation sexuelle participe à la fabrication et à la reproduction de systèmes de classification et de domination, en ne remettant aucune norme en cause.
Il est fondamental que la violence de genre soit abordée en classe pour que les élèves saisissent la façon dont elle s’insinue dans les situations et dans les relations. Par exemple, on apprend aux enfants — surtout aux filles — que la bonne sexualité est au sein du couple amoureux hétérosexuel dans lequel l’homme a des besoins que la femme doit assouvir. Cela dissuade de s’interroger sur les comportements acceptables ou inacceptables de notre partenaire. Combien de personnes ignorent, encore aujourd’hui, la notion de viol conjugal ?
Un autre exemple qui prouve que l’on se trompe de bataille est la critique régulière de la façon dont s’habillent les jeunes filles. Notons, entre autres, la campagne de 2012 contre l’hypersexualisation des jeunes filles ou les nombreux scandales de proviseur.e.s qui ont renvoyé une fille chez elle parce que sa jupe était trop courte ou qu’elle ne portait pas de soutien-gorge. Comment peut-on comprendre ce qu’est le consentement si on incite les filles à changer leur façon de s’habiller pour éviter de se faire violer ?!
La réponse des adultes paniqué.e.s : faire l’autruche
La « panique morale adulte » est un concept de Michel Bozon qui met en lumière la vision dramatisée des comportements sexuels des jeunes. C’est dans cette panique morale adulte que baigne l’éducation à la sexualité actuellement. En 1996, Michel Foucault considère l’éducation sexuelle comme l’une des formes de mise en discours du sexe, visant à discipliner les corps.
Dans les années 1990, les interventions se focalisent sur une prévention du sida auprès des jeunes, ce qui a deux effets : le côté positif, on légitime la sexualité des jeunes à l’adolescence. L’effet négatif, c’est que la préoccupation face à cette dernière augmente. En bref, les cours d’éducation sexuelle sont complètement gangrénés par une peur de la perte de contrôle sur la jeunesse, qui se traduit par cette fameuse « panique morale adulte ». Evidemment, c’est un obstacle à une éducation à la sexualité correcte, puisque l’école propose un contenu consensuel qui ne créera pas de conflit. En effet, les enfants sont perçus comme asexuels, soumis et exposés à l’hypersexualité des autres — c’est qui, les autres ? Dès lors, si l’école produisait un discours pertinent (au lieu de conservateur), elle pourrait être jugée coupable de sexualiser les enfants, ce qui est, qu’on se le dise, une sombre hypocrisie. Ce n’est qu’une preuve de plus du rejet de l’autonomie sexuelle de la jeunesse qui en a les moyens aujourd’hui. Cette dernière est présentée comme un groupe en danger moral et sanitaire, c’est qui est très grave. En effet, cela fait passer au second plan la question de l’égalité et renforce les stéréotypes de sexe, de classe, de race, et dépolitise la lutte face au sexisme et à l’homophobie. Evidemment, chaque pays a un degré particulier. Aux Etats-Unis, il y a un consensus autour de la perception de la sexualité comme un risque, ce qui implique de retarder au maximum les débuts sexuels des jeunes. En Finlande, le consensus est de considérer la sexualité comme un élément de bien-être. L’éducation à la sexualité se fait donc plus tôt, est progressive et dans un objectif d’égalité entre les sexes. Par ailleurs, la Finlande est un des pays qui référencent le moins de sexisme. Coïncidence ?
La seule réponse disponible pour les jeunes : la pornographie
Au carrefour de toute cette anxiété, on trouve la pornographie, dénoncée comme le danger par excellence pour la jeunesse. Sauf que, encore une fois, il est hypocrite de donner aux jeunes tous les moyens d’accéder à ce contenu (un smartphone, un ordinateur, un accès internet, etc.), sans proposer aucun contenu alternatif pour répondre à leurs questions sur la sexualité. Aujourd’hui, les adultes responsables (que ce soit à l’école ou à la maison), devraient assumer qu’à 12 ans, leur enfant a sans doute déjà vu de la pornographie, que ce soit par choix personnel ou par émulation collective. Penser le contraire, c’est prendre des adolescent.e.s pour des crétin.e.s : on leur donne des smartphones avec Internet illimité, ils/elles savent quoi y trouver et comment, et c’est leur seule éducation à la sexualité face au silence officiel — qui n’irait pas quand c’est le seul contenu, qu’il est largement disponible et que tous les outils sont offerts pour y accéder dès le plus jeune âge et de son propre chef ? Ce n’est pas la preuve que la jeunesse est pervertie, mais bien la preuve d’un gros manque au niveau de l’éducation.
A quel âge commencer l’éducation à la sexualité ?
Réponse : beaucoup plus tôt, dès l’école primaire, avec un éveil au corps, aux émotions, aux notions de consentement, et j’en passe. En-dehors de l’incroyable potentialité d’épanouissement personnel, cela pourrait prévenir des abus sexuels sur les enfants si ces derniers connaissaient les limites de l’acceptable. Commencer à parler de sexualité en troisième est absurde. Prenons mon exemple : en troisième, donc à 14 ans, j’avais mes règles depuis trois ans, j’avais déjà eu des rapports sexuels pénétratifs, certains sans aucune protection, j’avais déjà un copain, je prenais déjà la pilule, je n’étais absolument pas sensibilisée aux notions de consentement et j’avais probablement vu plus de pornographie que l’intervenante. Morale de l’histoire : s’y prendre trop tard pour ne pas heurter la sensibilité des parents, c’est priver les enfants et les adolescent.e.s d’une éducation fondamentale. Et prendre l’excuse de la moyenne du premier rapport sexuel (entre 15 et 17 ans) est complètement absurde, puisque cela ne veut pas dire qu’il n’y a eu aucune expérience sexuelle au préalable. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas pénétration qu’il n’y a pas de problématiques de consentement, que quelqu’un puisse être forcé.e à faire quelque chose qu’il/elle ne veut pas faire. Mais en soi, c’est la définition même du rapport sexuel qui pose problème.
Pourquoi le « rapport sexuel » pose problème ?
Le problème, c’est que quand on dit « rapport sexuel », on entend « rapport sexuel pénétratif d’un pénis dans un vagin ou un anus ». De fait, on invalide complètement les rapports sexuels buccaux, lesbiens (va trouver un pénis pour pénétrer ta partenaire), masturbatoires et j’en passe. Cette définition provoque une injonction à la pénétration pour rendre effectif un rapport sexuel. Si y a pas eu pénétration, bah t’as pas couché. N’est-ce pas terrible que ce soit l’éducation sexuelle en elle-même qui véhicule cette obligation à la pénétration ? Cela invalide une longue liste de pratiques qui pourtant impliquent tout autant éjaculation, risque de grossesse ou d’IST et consentement. Il est donc fondamental d’élargir la notion de « rapport sexuel » à tout l’acte sexuel, en arrêtant de séparer « préliminaires » et « pénétration », comme s’il y avait une hiérarchie entre les deux, alors que toutes mobilisent de façon égale les notions de consentement, de limites de l’acceptable, de plaisir, de risques et d’épanouissement sexuel.
Quelles solutions ?
Idéalement, il faudrait que l’éducation à la sexualité soit prise en charge par plusieurs instances (comme la famille), et plus uniquement par l’école. Mais, si l’on en reste, prenons l’exemple du Québec où, à partir de septembre 2018, l’éducation à la sexualité deviendra obligatoire dans le primaire et le secondaire. C’est une grande avancée, avec un programme vaste, assez détaillé, mais toujours imparfait ! Le problème principal, selon moi, est le manque d’harmonisation de l’offre de formation. En effet, un fascicule d’une vingtaine de pages ne suffit pas, il faut proposer une formation bien plus complète, voire en faire un vrai métier ! Faire en sorte que cela ne soit pas un simple bonus que les professeur.e.s et autres intervenant.e.s peuvent décider de rajouter à leur cours permettrait de légitimer sa position au sein de l’enseignement, mais aussi d’en améliorer sa qualité.
Par ailleurs, il est urgent de proposer une alternative à la pornographie pour permettre aux adolescent.e.s de savoir ce qu’est la sexualité sans son aide, ou au moins de donner des filtres critiques pour mettre de la distance entre soi et les images pornographiques. Au lieu de se cantonner au « c’est pas bien c’est une drogue c’est maaaal », il est fondamental d’expliquer de façon précise les ressorts des images. Par exemple, que c’est tourné sur plusieurs heures, avec des pauses, que certaines positions ne sont pas tenables pendant plusieurs minutes, que ce sont des acteurs/actrices, que le plaisir masculin et féminin ne s’atteint pas exclusivement de cette manière, que l’éjaculation n’est pas la finalité du rapport, etc. Fondamentalement, le but est de faire une éducation à l’image. Il n’est pas normal, dans une société dirigée par les images, de ne pas donner aux enfants les armes pour les décrypter.
Pour résumer, il faut plus de moyens financiers et de formations, une éducation à la sexualité centrée sur l’égalité des genres et des sexualités, le consentement, le respect, et une éducation aux images (pornographie, publicités ou cinéma d’ailleurs).
Enfin, si l’idée d’une éducation à la sexualité dès le primaire te fait peur, je te propose d’écouter ce documentaire audio réalisé dans une école de Wallonie-Bruxelles, où « l’éducation à la vie relationnelle et sexuelle » est obligatoire depuis 2012. C’est un parfait exemple de tout le positif que l’on peut en tirer.
Bibliographie/Webographie
Bajos Nathalie, Bozon Michel, Enquête sur la sexualité en France : pratiques, genre et santé, Paris, La Découverte, 2008.
Bozon Michel, « L’éducation à la sexualité, entre psychologie des différences, santé sexuelle et protection de la jeunesse, l’égalité introuvable ? Commentaire ».
Clair Isabelle, Le « pédé », la « pute » et l’ordre hétérosexuel, Agora Débats/Jeunesse, n° 60, pp. 67-78, 2012.
Gelly Maud, Les inégalités sociales, objet invisible pour l’éducation sexuelle ? Enquête ethnographique sur l’éducation sexuelle dans les collèges.
« Education sexuelle » in Rennes, Juliette. Encyclopédie critique du genre. Corps, sexualité, rapports sociaux. La Découverte, 2016.
https://www.franceculture.fr/emissions/les-pieds-sur-terre/educations-sexuelles-la- sexualite-enseignee-aux-enfants-r
http://www.lalibre.be/actu/belgique/education-sexuelle-en-flandre-un-site-tres-
explicite-conseille-aux-enfants-de-10-ans-cree-le- malaise-59e983e9cd7095e2f70769da
http://www.enseignement.be/index.php?page=27276
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https://www.cqv.qc.ca/quebec_education_la_sexualite_uniformisee_revue_de_presse_commentee
http://www.985fm.ca/nouvelles/opinions/111088
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1038850/cours-education-sexuelle-squatec