Qui n’a jamais entendu parler des pirates ? Des corsaires ? De leurs folles cavalcades maritimes ? Les drapeaux noirs peints d’une tête de mort, le coassement lugubre de perroquets multicolores, les îles au trésor, les sabres émoussés, évoquent en nous tous le souvenir de nombreuses histoires entendues maintes et maintes fois. Certaines sont fictives bien sûr, mais d’autres relatent les hauts faits de pirates ayant véritablement existé ; c’est par exemple le cas de Rackham et Barberousse.
Mais qui a déjà entendu parler de femmes pirates ? Comme dans beaucoup de sujets, les femmes ont été globalement oubliées dans l’histoire de la piraterie ; mais ces personnages aux destins hors du commun ont pourtant véritablement existé. Laissez-moi vous faire un bref portrait de quelques-unes d’entre elles…
Tout avait pourtant bien commencé pour Louise Antonini. Née à Ajaccio en 1771, fille d’un riche officier, elle aurait dû suivre la route qui était toute tracée pour une femme bourgeoise de l’époque. En plus clair : elle aurait dû épouser l’homme qu’on lui aurait imposé, devenir femme au foyer, puis mère, puis grand-mère. Mais Louise Antonini rêvait d’aventure, avait soif de gloire et de combats…
Alors elle a trouvé une solution simple : elle s’est déguisée en homme ! Ainsi vêtue et coiffée, les portes jusqu’alors fermées pour elles se sont ouvertes. Elle s’est engagée dans la marine française en tant que corsaire (les corsaires sont des pirates « officiels », engagés par l’armée nationale pour attaquer et piller des bateaux ennemis) : après de nombreux voyages partout dans le monde, Louise Antonini fut capturée par les anglais et jetée en prison. Ces prisons maritimes, ou « pontons », abritaient des centaines de prisonniers, tous vivant les uns sur les autres… Impossible de garder son identité cachée dans de telles conditions, dites-vous ? Et si ! Pendant près de 6 mois, Louise restera aux yeux de tous un homme. Petit plus : avouer son identité de femme l’aurait probablement aidée à échapper à ces conditions de vie terribles ; mais, dans une démonstration de courage et de détermination hors du commun, Louise n’abandonnera jamais volontairement sa fausse identité.
Suite à un examen médical, malheureusement, elle sera démasquée et dut mettre fin à sa carrière militaire. L’histoire ne dit pas ce qui arriva à Louise Antonini ensuite : mais elle a, sans aucun doute, continué à poursuivre son rêve de liberté avant de s’éteindre en 1861.
Le destin de Louise n’est pas sans rappeler celui de Julienne David (1773-1843), une autre corsaire française. Prisonnière de guerre, ayant vu sa famille entière se faire massacrer lors de la guerre de Vendée, Julienne David s’échappe de sa prison et choisit à son tour de braver les interdits, en se déguisant en homme pour aller naviguer et combattre.
Combien de femmes se sont ainsi déguisées pour se cacher parmi les rangs des corsaires, ou des pirates ? Les cas devaient être nombreux. Il est impossible de quantifier avec exactitude le nombre de femmes pirates ou corsaires !
Mary Read et Anne Bonny sont bien mieux connues du grand public. Est-ce parce qu’il existe des traces écrites plus précises à leur sujet ? Ou car leur histoire, pourtant réelle, ressemble à la plus hyperbolique des fictions ? Mystère…
Mary Read (1690-1721) a été élevée dans des conditions de vie très dures. Elle a grandi parmi les franges les plus pauvres de la société anglaise ; forcée de se déguiser en garçon dès son plus jeune âge pour pouvoir travailler et subvenir aux besoins de sa famille, il n’est pas étonnant qu’elle ait réussi à tromper autant de monde pendant autant de temps sur la véracité de son identité !
A 20 ans, sous le pseudonyme de Mark Read, elle s’engage dans l’armée de terre. Cependant, après quelques mois de service, elle tombe amoureuse d’un membre de sa troupe et lui révèle sa véritable identité, ce qui mit fin à sa carrière… Pour peu de temps ! Car quelques années plus tard, Mary redevient Mark et s’engage pour devenir corsaire. Petit hic : son bateau est abordé par des pirates, qui lui donnent un choix : être exécutée ou devenir pirate à son tour… Le choix est vite fait, et Mark Read s’engagea dans l’équipage du fameux pirate Rackham.
Rackham avait une maîtresse toute aussi impitoyable que lui : Anne Bonny. Respectée par tous les membres de l’équipage, Anne Bonny est une des rares femmes pirates qui n’a jamais eu à cacher son identité. Un jour, Anne croisa une jeune recrue, un certain Mark Read… Et en tombe amoureuse. Lorsqu’Anne décide de lui avouer sa flamme, Mark n’a pas eu d’autre choix que de lui avouer qu’il s’appelle en vérité « Mary », et qu’elle aussi est une femme ! Cette expérience lia les deux femmes d’une amitié très forte qui ne les quittera jamais.
Certes, les femmes sont interdites à bord…. Mais Rackham, convaincu par le courage sans bornes de Mary, décide de l’accepter tout de même sur son bateau. Elle ne manquera pas de faire ses preuves, allant même jusqu’à défier un autre membre de l’équipage en duel pour protéger son amant…et gagner ! On raconte même qu’elle montrait son sexe aux hommes qu’elle s’apprêtait à achever pour leur montrer qu’une femme était tout à fait capable de les zigouiller. Plus badass tu meurs.
Le trio Rackham-Anne Bonny-Mary Read sème la terreur dans les Indes Orientales pendant des dizaines de mois. Lorsque leur navire est capturé, Anne Bonny et Mary Read sont les deux dernières à combattre, elles ne lâcheront leurs armes qu’une fois totalement encerclées.
Cependant, au moment de leurs jugements, les deux femmes bénéficient d’une certaine clémence. Pourquoi ? Parce que les deux sont enceintes ! Elles obtiennent donc le droit de rester en prison jusqu’à la fin de leurs termes respectifs. Mary Read, malheureusement, meurt en prison avant même la fin de sa grossesse. Anne Bonny quant à elle……. A disparu. Elle n’a pas été exécutée (son nom n’apparaît pas dans les registres officiels), mais son évasion de prison n’est notée nulle part non plus… Mystère !!
Plus loin, mais au même moment, Madame Tsching (1775-1844) sème la terreur en mer de Chine. Grande commandante d’une confédération de pirates (elle avait 70 000 hommes sous ses ordres, rien que ça !), Madame Tsching avait établi des règles extrêmement précises pour encadrer les actes de ses pirates. Par exemple : interdiction de violenter les prisonnières (non pas par désir de protéger leurs droits, mais pour protéger une marchandise humaine qui sera revendue à un bon prix). Madame Tsching accumulera un trésor gargantuesque grâce à ses multiples attaques sur des bateaux commerçants ; car Madame Tsching n’est pas seulement une pirate, c’est aussi une grande stratège militaire. Les empereurs chinois déploient des moyens considérables pour mettre fin aux activités de l’impitoyable pirate, mais jamais un seul assaut des militaires chinois ne viendra à bout de la flotte de Madame Tsching. Ayant passé un traité avec l’Empire chinois, elle décide de se rendre. Elle prit alors le chemin de l’entreprenariat, devenant gérante d’un vaste réseau de revente de biens de luxe, et continue à s’enrichir jusqu’à sa mort.
Les destins de ces femmes, impitoyables, effrayantes, bouleversantes, montrent que la violence n’est pas exclusive aux hommes, ni la soif d’aventure, ni la piraterie tout simplement !
Pour aller plus loin
Je vous conseille l’excellente émission France Inter sur le sujet , écoutable et podcastable en suivant ce lien : https://www.franceinter.fr/oeuvres/femmes-pirates-les-ecumeuses-des-mers
Et le livre Femmes pirates. Les écumeuses des mers de Marie-Ève Sténuit (éditions du Trésor, 2015)