Cette série d’articles a pour objectif de défendre les femmes de la pop culture qui sont traditionnellement haïes par les masses. Ces personnages sont la cible de commentaires régulièrement misogynes et violents visant à minimiser leur qualité de personnage pour les réduire à des critères systématiquement dévalorisés : leur prétendue faiblesse et leur féminité.
A force d’avoir passé des heures entières à tourner fébrilement des pages usées par la lecture ou à me laisser aller au bingewatching compulsif, j’ai eu le temps de m’approprier un certain nombre d’incontournables de la pop culture. Lorsqu’on commence à graviter autour de certains piliers culturels, on croise souvent le chemin d’une immense communauté de fans.
Game of Thrones, ou plus précisément A Song of Ice and Fire, est un univers fécond à partir duquel son créateur George R R Martin a écrit plus de 3000 pages et dont l’adaptation sur petit écran génère près d’un milliard de dollars de profit par an. En outre, il existe un nombre considérable de sites sur lesquels ses millions de fans se regroupent afin de partager leurs théories, de discuter de certains détails de l’intrigue. Plus que le « fan art » , A Song of Ice and Fire appelle à la discussion et au décorticage des moindres détails du fait de ses péripéties parfois alambiquées et du nombre encyclopédique de ses personnages. En naviguant sur les réseaux traitant exclusivement de Game of Thrones, la série télévisée et non l’œuvre littéraire donc, j’ai été sidérée par la violence de certains propos envers le personnage de Sansa Stark, qui semblerait être un des personnages les pus haïs de la série pour des raisons qui m’échappent totalement.
Par souci de simplicité, et parce que ce phénomène semble beaucoup plus toucher les fans de la série que ceux du livre tout le reste de mon article traitera de la représentation de Sansa Stark dans l’adaptation série exclusivement : cette précision est importante à signaler dans la mesure où les deux productions ont pris des chemins très différents en ce qui concerne l’arc narratif de ce personnage.
Lorsque le nom de Sansa est prononcé ou écrit, les critiques fusent rapidement : pleurnicharde ! Victime ! Faible ! Pourquoi n’est-elle toujours pas morte !
Il est vrai que, lorsqu’on la compare à d’autres personnages féminins de la série, la force de Sansa est plus difficile à repérer. Face au regard assassin d’Arya, à la soif de pouvoir de Cersei, ou à la carrure de Brienne, Sansa Stark peut paraître bien faible. Cet éventail de représentation féminine est une des grandes forces de la série, qui n’hésite pas à faire de ses personnages féminins des éléments essentiels de son scénario, une chose assez rare pour qu’elle soit remarquée et appréciée. Cependant, de tout ce panel de personnages réussis, Sansa Stark se démarque par la subtilité de son évolution et par le réalisme de son histoire.
Pour rappel, au début de la saison 1 de Game of Thrones, Sansa Stark a 13 ans (et 11 ans dans le livre !)1 . A la fin de la saison 7, la dernière en date, elle en a donc 20 seulement. Je ne vous apprendrai rien en vous annonçant qu’entre 13 et 20 ans on change tou.te.s, on mûrit, on réalise que nos priorités n’ont pas toujours été dans le bon ordre et qu’on a été très naïfs ou naïves dans notre adolescence. Ainsi, le concept de justifier sa haine pour Sansa Stark en affirmant qu’elle est « Neuneuh à toujours chercher le prince charmant » est insensé et ne prend absolument pas en compte la grand évolution du personnage, qui fait écho à l’évolution dont on a tou.te.s fait les frais à l’adolescence.
Je le concède, comparer Sansa Stark à une adolescente lambda n’est pas un argument des plus solides, car c’est une jeune femme qui a traversé des épreuves d’une indicible violence : son père a été décapité sous ses yeux, elle a été captive de celles et ceux responsables de sa mort, a été humiliée, battue, violée, manipulée… Comment peut-on sincèrement considérer qu’un être humain ayant traversé toutes ces épreuves et qui continue à vivre la tête haute comme elle le fait serait « faible » ?
Rappelons-le, le vécu de ce personnage fictif fait écho à la réalité historique des conditions des femmes nobles en temps de guerre. Bien que les premières victimes des conflits soient – comme toujours – les tranches les plus pauvres de la population, les femmes nobles ont toujours été utilisées comme monnaie d’échange et comme pion dans les résolutions diplomatiques de conflits par le mariage. En outre, le viol est, et a toujours été, une arme de guerre, malgré le rechignement des Etats pour le considérer en tant que tel…
Ainsi, Sansa Stark représente cette violence historiquement faite aux femmes et, rien que pour cela, ce personnage mérite un respect sans précédent.
En outre, souvenons-nous que c’est elle qui a sauvé les fesses de Jon Snow dans la batailles des Bâtards, c’est elle qui a uni les Chevaliers du Val d’Arryn, c’est elle qui a survécu à Kings Landing en sachant continuellement s’adapter, elle s’est enfuie des griffes de Ramsay Bolton puis a su manipuler Littlefinger… En clair, Sansa Stark a été naïve mais n’a jamais été stupide, et s’il y a bien un personnage de l’univers Game of Thrones qui a fait preuve d’une évolution fulgurante, c’est elle.
Je vais vous le dire honnêtement : je rêve qu’un jour Sansa Stark s’assoie sur le trône de fer.