Cette série d’articles a pour objectif de défendre les femmes de la pop culture qui sont traditionnellement haïes par les masses. Ces personnages sont la cible de commentaires régulièrement misogynes et violents visant à minimiser leur qualité de personnage pour les réduire à des critères systématiquement dévalorisés : leur prétendue faiblesse et leur féminité.
Il y a un phénomène qui m’intéresse particulièrement dans la réception de la pop culture, entre autres parce que j’y ai régulièrement participé. Nous avons tendance à immédiatement considérer que toutes les productions adressées à un public majoritairement féminin – comédies romantiques, romans d’amour, mangas shōjo etc – sont d’une moindre qualité. Bien que je sois une grande fan de comédies romantiques, je n’ai pas été des dernières à pouffer de rire devant certaines couvertures de romans par exemple, ou à rejeter d’office des œuvres qui étaient trop « girly » à mon goût. Il existe d’autres productions culturelles qui sont trop rapidement rejetées par une grande partie de la critique : les jeux-vidéos par exemple, ou encore les séries de films d’action ( Fast and Furious, Die Hard et j’en passe). Cependant, ces productions-là, bien qu’elles attirent majoritairement un public masculin, sont considérées comme universelles, voire parfois cultes. Le public féminin est quant à lui rapidement devenu un public de niche. Gare au garçon qui avouerait adorer les romans d’amour, virilisation toxique oblige !
Ainsi, toutes les œuvres destinées à toucher ce public de niche sont rapidement dévaluées ; un des meilleurs exemples de cette réaction est bien évidemment la franchise Twilight. Cette série de 4 romans, puis de 5 films, créée par Stephanie Meyer, a été la cible d’un nombre incalculable de critiques négatives, de la part de personnes ayant lu ou vu les films et les romans, mais aussi de nombreuses personnes n’ayant jamais véritablement pris le temps de le faire. « Still a better love story than Twilight » est devenue une blague courante de l’Internet Mondial, et les interprètes jouant les rôles de Bella et Edward dans l’adaptation pour grand écran, Kristen Stewart et Robert Pattinson, ont eu beaucoup de mal à retrouver leur crédibilité artistique après leur participation dans la franchise. Détester Twilight est devenu courant, presque un gage de bon goût, et à l’inverse avouer adorer Twilight prend parfois un peu de courage. Pour que vous restiez crédibles, il vaut mieux donc dire que vous détestez une production que vous n’avez jamais ni lue ni vue, plutôt que d’oser déclarer que vous l’adorez. Vous voyez où je veux en venir ?
Pourtant, Twilight, et plus précisément Bella Swan, ont eu un très grand impact sur la pop culture, notamment dans le domaine de l’heroic fantasy pour adolescent.e.s.
L’histoire d’amour entre Edward et Bella est évidemment le cœur de l’intrigue de Twilight, mais indépendamment de tout cela le personnage de Bella Swan est vraiment très intéressant. Tout d’abord, Bella est extrêmement indépendante : c’est elle qui décide de déménager à Forks suite au re-mariage de sa mère, elle a mis de l’argent de côté pour pouvoir s’acheter une voiture en arrivant sur place, elle choisit, à partir du deuxième roman, de travailler dans un magasin d’équipement sportif afin de préparer son portefeuille aux années universitaires … Bref, elle prend entièrement sa vie en main et fait des choix éclairés. Il me paraît ici important de rappeler à celles et ceux connaissant moins bien la saga que moi que Bella n’a au départ que 17 ans ! Ce qui rend toutes ces décisions d’autant plus honorables.
Il est plusieurs fois affirmé dans les romans que Bella Swan est presque une adulte « coincée » dans le corps d’une ado tant elle est organisée et indépendante. Malheureusement, les films n’ont absolument pas pris le temps de développer cet aspect-là du personnage, et elle apparaît bien plus « plate » à l’écran.
En outre, Bella Swan est une jeune femme brillante, cultivée, et qui s’affranchit sans sourciller des normes de genre ! Elle n’aime ni le shopping, ni les sorties entre copines, elle ne se maquille pas, et s’habille majoritairement en jean-basket ; elle préfère toujours l’aspect pratique à l’aspect esthétique, comme le montre si bien son choix de locomotion (le fameux camion rouge).
En fait, ce qui vient à mon sens diminuer en apparence la badassitude de ce personnage, c’est tous les hommes qui l’entourent. Edward la regarde dormir sans la prévenir (beurk) et cherche à contrôler tout ce qu’elle fait (beurk), Jacob lui met une pression énorme pour qu’elle l’embrasse (re-beurk) et n’hésite pas à faire du chantage affectif (beurk), Charlie est un homme adulte quarantenaire qui ne sait apparemment rien faire dans sa propre maison et qui laisse Bella s’occuper de tout – lessive, cuisine, courses etc (beurk)… Tout cet entourage masculin, si mal écrit, met souvent en berne le personnage intéressant de Bella Swan et tend à la faire vaciller sur ses appuis (elle laisse régulièrement Edward lui dicter ce qu’elle devrait ou ne devrait pas faire), mais elle conserve toujours une grande volonté d’indépendance qui l’aide parfois à se détourner de ce que tous ces Mâles Alphas attendent d’elle. Il est d’autant plus agaçant de constater que ces personnages imposent une dynamique toxique au personnage de Bella lorsqu’on prend en compte le fait que l’auteure est elle-même une femme qui a donc du souffrir régulièrement de ces comportements sexistes, mais qui a pourtant fait le choix de transformer ces comportements nocifs en preuves d’amour. Par exemple, la jalousie maladive d’Edward envers Jacob le pousse à empêcher Bella d’aller voir ce dernier. Et plutôt que de dénoncer ce comportement scandaleux en faisant en sorte que Bella le raisonne et ne suive absolument pas ses demandes, par exemple, S. Meyer a choisi d’en faire un enjeu romantique et de transformer le comportement macho d’Edward en preuve d’amour inconditionnel.
Le rapport à la sexualité est évidemment problématique dans Twilight – de l’injonction à la « première fois » parfaite pour les jeunes filles, au culte de la chasteté – mais il me paraît important de souligner que c’est plutôt rafraîchissant de voir une jeune fille être en demande de sexe et que le garçon préfère attendre, pour une fois, ainsi que d’avoir un personnage masculin qui ne mette pas la pression sur sa compagne pour qu’elle accepte de coucher avec lui. Alors, certes, les motivations d’Edward et sa manière de faire sont complètement critiquables, mais tout n’est pas à jeter.
Bella Swan a donné un souffle de renouveau dans l’univers de l’heroic fantasy pour adolescent.e.s et grâce à elle sont nées de nombreuses sagas mettant un personnage féminin à l’honneur ( Hunger Games, Divergent…) et dont le public a gagné en mixité. Le personnage de Bella a prouvé à de nombreuses jeunes filles qu’elles n’avaient pas à être « féminines » pour être intéressantes mais que le courage, la détermination, l’indépendance sont des qualités bien plus importantes. Pensez à tout cela avant d’affirmer par principe que vous détestez Twilight !
5 fois où Bella Swan a été super badass :
- Quand elle a donné un coup de poing à Jacob qui a essayé de l’embrasser sans son consentement et qu’elle a frappé si fort qu’elle s’en est cassé la main.
- Quand elle a préféré dormir sur le canapé plutôt que sur le lit ridicule qu’Edward a fait acheter juste pour elle.
- Quand elle a plongé d’une falaise pour tester ses limites.
- Quand elle a écrit tous ses devoirs demandés au lycée en avance et qu’elle a fait stresser tout le monde, dont Mike Newton l’imbécile du coin.
- Toutes les fois où elle a consciemment fait face à ses ennemi.e.s pour protéger celles et ceux qu’elle aime.
2 Commentaires
Bien le bonjour, j’ignore si vous passerez par là, mais j’espère tout de même pouvoir discuter de cet article avec vous.
Alors je vais poser les bases, je n’aime pas Bella. Autant j’ai lu vos autres articles sur le Girl Power et étais globalement d’accord, autant celui-ci me fait un peu grincer des dents.
A vrai dire, mis à part peut-être décider de déménager pour sa mère, le fait qu’elle travaille pour gagner peu à peu en indépendance est en réalité quelque chose de très commun chez les jeunes, surtout à la campagne. Mais soit, c’est vrai qu’elle à ça pour elle.
Cette idée d’indépendance et d’organisation, d’où vient-elle ? Du fait qu’elle sache payer les factures, qu’elle fasse les courses, le ménage, la cuisine… Alors je pense qu’il y a matière à épiloguer sur son enfance avec une mère irresponsable. Mais toujours est-il que le rendu est là : une ado qui correspond totalement aux attentes de la société car elle est une femme.
Elle est discrète, timide (Bon Dieu son rougissement me faisait sortir de mes gonds !!!), intelligente (pas d’une intelligence dite supposément « » » »masculine » » » » (je n’adhère pas à cette image mais elle est là) qui font d’elle une femme redoutable de par sa compréhension des choses, son analyse, ses réactions… Mais une intelligence plus « »douce » » c’est à dire : elle est bonne à l’école (comme on l’attend de toutes les jeunes filles, mais qui pourtant se retrouve avec des postes moins bien récompenser que les hommes (dans Twilight on a vite régler le problème : Bella renonce à tout cela pour vivre son histoire d’amour), mais elle est aussi observatrice, pas à des fins personnelles, mais pour comprendre et mieux anticiper le besoin de son entourage… Pas hyper Girl Power tout ça), elle est décrite comme têtue (mais cède à tout pour les autres) … Je n’arrive pas à lui trouver d’autre traits de personnalité, c’est dire. De plus même si c’est vrai, ce qui fait un personnage intéressant, c’est ses défauts, plus que ses qualités. Elle est dénuée de tout égocentrisme, égoïsme, …
Bref elle fait définitivement passer les autres avant elle. Ce qui aurait pu être un exemple de compassion et de bienveillance, mais qui nous énerve car c’est encore une fois l’idée même une petite femme passive. Et se sacrifier pour les autres, n’est-ce pas ce qu’on attend des femmes ? Qu’elles mettent leurs vies entre parenthèses (de très grosses pour Bella), pour se marier, s’occuper des enfants, tout ça. Elle se laisse totalement abuser et cède à tout sous prétexte que c’est par amour et qu’elle est une personne compréhensive et compatissante.
Elle fait tellement passer les autres avant elle, que quand les Cullen partent, elle dépérit. Car elle ne vit pas pour elle mais pour les autres. Elle va jusqu’à sauter d’une falaise pour espérer entendre Edward et vivre un frisson d’adrénaline car elle n’est plus capable de vivre normalement et d’être satisfaite depuis que son homme est parti.
Et elle aime lire ! En réalité, c’est la seule autre chose qu’elle fait réellement mis à part penser à Edward. Ce qui lui donne certes une culture assez solide, mais encore une fois, c’est bien trop genré. Il est connu qu’on pousse plus les jeunes filles à lire car c’est une activité intellectuelle catégoriser comme « passive » (c’est l’imagination qui est surtout pris à parti et non la réflexion comme dans les sciences ou la politique (encore une fois c’est une idée général, j’aime lire alors je ne vais pas descendre la lecture en tant que loisir)). Et si encore ça pouvait lui être utile comme Hermione par exemple… Mais non. C’est juste là pour lui donner une pseudo profondeur assez chargée politiquement.
Elle est faible physiquement. Face à des supers vampires, on lui pardonne facilement. Mais elle est faible physiquement comparer à tout le monde ! Elle ne fait aucun sport, est super maladroite… Là encore on rejoint le cliché de la petite femme faible, celle qu’on a envie de protéger car on est un homme viril !
Puis pour l’affranchissement des normes du genre… Cela me semble assez compliqué vu tout ce que j’ai énoncé plus haut mais soit. Elle se trouve pas particulièrement jolie. Pourtant a mainte prétendants qui tombe pour ses beaux yeux. Cela pourrait être pour elle, en tant que personne et non en tant que corps, mais non. Dès le deuxième jour, ils étaient tous fan d’elle, de la nouveauté qu’elle apportait, de son côté fragile… Et tout cela est pour souligner que combien même elle ne fasse aucun effort, elle est jolie. Et je me permet de rapporter qu’une des choses qu’on reproche souvent aux femmes est leur superficialité, avec des sorties entre amies, du shopping, le maquillage… Bref encore une fois, une petite fille parfaite qui n’est pas comme les autres. De plus, j’aimerais faire remarquer que ce manque de superficialité est très souvent mis en opposition avec la frivolité de Jessica, qui est clairement mise en porte à faux face à Bella par tous dans les romans.
Et cela peut aussi s’expliquer par son niveau social (trèèèèèèès gros soucis de Twilight avec le fantasme très ancré de Cendrillon).
Mais encore, ce personnage bourré de cliché et un espèce de prototype pour la femme parfaite et obéissante nous serait certainement moins désagréable si elle n’était pas toxique. Alors oui, les hommes autour d’elle le sont. Mais elle l’est aussi, car elle leur pardonne tout par amour. Quand Edward a des pulsion sanguinaire ? C’est pas grave, c’est pas sa faute, il ne peut pas se contrôler (*hum hum*). Elle pourrait mourir à chaque instant, mais non, elle reste par amour morbide (trop de fascination, d’admiration, de contrôle… pas assez de complicité). Et elle véhicule le message comme quoi de un, ce n’est pas sa faute, de deux, on doit leur pardonner si on les aime vraiment, de trois, que malgré le risque omniprésent (qu’il soit externe avec James et Victoria, ou bien dans la sphère familiale avec les Cullen et Jasper qui l’a presque tué (mais encore une fois, ce n’était pas sa faute), ou même Edward) et les pertes de contrôles de sa famille, on peut être heureux ainsi. La relation avec Jacob est assez similaire. Ils sont surprotecteurs et la traite comme une chose fragile, et si certes ce n’est pas de sa faute, elle ne fait rien de fort pour y remédier. Avec Charlie, c’est à peu près la même chose, il a vécu seul pendant une quinzaine d’année, mais serait incapable de cuisiner ou de faire le ménage ? Assez dur à croire, mais c’est as grave Bella et là, en tant que femme au foyer !
Alors certes, il est rare de voir une fille qui veut coucher avec le garçon alors que lui ne veut pas. Mais là encore, elle va finir par donner le mot de fin à Edward (je ne dis pas qu’elle doit faire une sorte de viol conjugal, mais ils n’ont pas de réelle discussion à ce sujet) et le livre nous montre à quel point l’abstinence d’Edward est romantique et va jusqu’à la justifié. Encore une fois, Bella va bafouer ses envies par supposé amour. Et par ailleurs, une des seules décisions où elle obtiendra gain de cause (mis à part pour le sexe entre humain et vampire) est l’accouchement, en pleine campagne contre l’avortement aux EU.
Si je n’aime pas spécialement Bella, je déteste l’image qu’elle renvoi aux jeunes filles. C’est bien trop nocif pour que je pense ne serait-ce qu’à évoquer la notion de girl power pour Bella Swan !
(PS : Elle est tellement nocive qu’elle est le modèle de quelque chose de pire encore : Anastasia Steel !)
J’espère pouvoir en discuter avec vous,
Je vous souhaite une bonne journée,
Ealaly
PS2 : Il est un peu tard, je suis un peu fatiguée, alors j’espère ne pas avoir laissé trop de fautes, déjà que vous risquez de vous amuser avec mes parenthèses compartimentées…
Bonjour,
Je vous remercie pour ce long – et très constructif – commentaire ! Mon article commence à dater un petit peu et je suis plutôt d’accord avec votre réponse. 🙂