Le sexe, le genre et le désir – plus clichés qu’un mauvais Western!
Nous savons déjà, depuis un demi-siècle environ, que notre façon de nous catégoriser nous-mêmes, êtres humains, en hommes ou femmes, ne fait en aucun cas justice à la diversité qui nous caractérise. Histoire de rappeler l’argument, je vous mets ici mon passage préféré de ce TED Talk très inspirant de Emily Quinn :
« Pourtant, nous n’avons que deux options à notre disposition : homme ou femme. Ce qui est assez étrange pour moi, parce que je ne vois pas un seul autre trait humain pour lequel il n’y a que deux options. Couleur de peau, cheveux, taille, yeux, « vous pouvez avoir soit le nez A, soit le nez B ». S’il y a des façons infinies pour les corps de se développer, ou les esprits de penser, ou les personnalités d’agir, ne serait-il pas logique qu’il y ait autant de variété dans le sexe biologique aussi ? »
Mais voilà : cette division binaire et manichéenne a des conséquences néfastes bien difficiles à traquer dans la trame de notre culture, de nos lois, de nos coutumes, de nos goûts, de nos désirs même – elle s’insinue au plus profond de nous-même, colore la plus privée de nos pensées, sans même que nous nous en rendions compte. Et c’est même pire que ça ! Je décris cette influence comme un intrus, comme un espion nous manipulant malgré nous, insidieux et malfaisant, mais ça n’est pas du tout le cas : nous nous identifions tellement à notre catégorie que nous la défendrions bec et ongles jusqu’à en mourir !
Cependant, cette catégorisation s’accompagne d’un canon de règles, de normes, et de modèles, de propositions d’identifications véhiculées par notre culture et notre environnement, définissant au cours de notre socialisation ce qui est okay et ce qui ne l’est pas, en fonction de notre appartenance à une catégorie, et s’assurant de la pérennité du système par des sanctions.
Comment notre désir est formé par notre culture
Aujourd’hui, je m’intéresse particulièrement à la manière dont notre désir est transformé par ce processus. Ces normes et modèles profilent ce que nous avons le droit de ressentir, et nous guide vers une identification particulière. Plus concrètement, pensons aux scènes de bal, rendez-vous incontournable de tant de romans ! Etant moi-même un rat de bibliothèque (ou plutôt un ver à livre, comme illes disent en anglais), j’en ai lu des tonnes et des tonnes. Ces scènes m’ont fait rêver, m’ont fait désirer, m’ont fait imaginer ma rencontre idéale, m’ont permis de m’identifier … et m’ont conditionné pour un certain type de désir, un certain type d’expression.
Ce phénomène est
peut-être d’autant plus pernicieux que les domaines de l’écriture est encore
majoritairement représenté par des hommes, qui narrativement écrivent les rôles
féminins en tant qu’objets sexuels et les rôles masculins comme les rôles d’actions
(ce qui se transcrit également dans le désir : l’homme regarde la fâmme,
il la désire, il la touche, etc.)
Une tentative d’échappatoire …
J’aimerais donc vous présenter une réécriture (d’aucun.e.s diraient une déconstruction) d’une portion d’un livre qui m’a particulièrement marqué (en essayant de me concentrer sur une scène de bal). Oui, on me dira que c’est de la fanfiction. Oui, on me dira que ça a déjà été fait (Elfriede Jelinek ou Bropunzel pour les contes et leur adaptation en dessin animé, les fan fictions pour la littérature (en particulier pour Harry Potter), pour le cinéma sans aucun doute … Et vous aurez raison, mais bon : comme c’est mon article, j’en fais ce que je veux.
Voyons-voir ce qui se passerait, si au lieu de l’admiration du personnage masculin, normée et objectifiante projetée sur elle, on aurait son admiration à elle, son commentaire, son désir ? Quelles images, quels ressentis fleuriraient en nous, si au lieu qu’il admire sa magnifique robe de bal, il admirait son magnifique costume trois-pièce ? Si au lieu qu’il l’attende au pied de l’escalier, à la reluquer pendant qu’elle descend, elle l’attendait à la place ? Si lui avait envie de porter une robe ? Si au lieu d’une femme qui descende les marches, il s’agissait de l’homme de la vie de notre prince charmant ? Combien de personnes se réjouiraient de lire leur désir permis, exprimé, glorifié ? De combien de douceur, de tendresse, d’acceptation pourrions-nous alors faire l’expérience ? Comme dirait Emily Quinn : « Le sexe biologique est sur un spectre. Ce n’est pas noir ou blanc. » J’y ajouterais : le désir également.
Aujourd’hui, c’est au tour d’Harry Potter. Celleux qui connaissent par coeur auront peut-être conscience des transformations – pour les autres, il s’agira simplement d’un monde parallèle, dans lequel les femmes admirent les hommes, dans lequel elles posent leur regard sur eux, dans lequel elles ne sont pas sexualisées, valorisées et jalousées pour le travail d’apparence qu’elles font ou pour leur jeunesse… Un monde, sommes toutes, rafraîchissant…
Harry Potter et la coupe de feu – Chapitre 23: Le bal de Noël
Les élèves vêtus d’étoffes de diverses couleurs, au lieu des habituelles robes uniformément noires, donnaient à la salle commune un aspect étrange. Parvati attendait Harry au bas des marches. Il était vraiment très joli dans son costume bleu crépuscule, coiffé à la va-vite, des bracelets argentés étincelant à ses poignets. Harry fut soulagé de voir qu’elle ne gloussait pas.
– Tu… heu… ça te va bien, tout ça…, dit-elle maladroitement.
– Merci, répondit Harry.
– Padma va te retrouver dans le hall d’entrée, ajouta-t-elle en se tournant vers Ron.
– Très bien, dit-il.
Il jeta un regard autour de lui.
– Où est Hermione ?
Parvati haussa les épaules.
– On descend, Parvati ? dit Harry.
– D’accord, répondit Parvati qui aurait préféré rester dans la salle commune.
Fred lui adressa un clin d’oeil lorsqu’il passa devant lui pour sortir dans le couloir.
Le hall d’entrée était bondé. Les élèves piétinaient en attendant que les portes de la Grande Salle s’ouvrent à huit heures précises. Ceux qui venaient de maisons différentes et qui s’étaient donné rendez-vous là se faufilaient parmi la foule, essayant de trouver leur partenaire. Parvati alla chercher sa soeur Padma et l’amena auprès de Harry et de Ron.
– Salut, dit Padma qui était aussi élégante que Harry dans sa robe turquoise.
Elle n’eut cependant pas l’air très enthousiaste d’avoir Ron pour cavalier. Elle le regarda des pieds à la tête et ses yeux sombres s’attardèrent sur le col et les manches élimés de sa robe.
– Salut, dit Ron en regardant ailleurs. Oh, non…
Il se baissa légèrement pour se cacher derrière Harry. Fleur Delacour venait d’apparaître, accompagnée par Roger Davies, le capitaine de l’équipe de Quidditch de Serdaigle, resplendissant dans une robe de satin argenté. Lorsqu’ils se furent éloignés, Ron se redressa et jeta un coup d’oeil dans la foule.
– Mais où est Hermione ? répéta-t-il.
Un groupe d’élèves de Serpentard montèrent du sous-sol où se trouvait leur salle commune. Malefoy était à leur tête. Il était vêtu d’une robe de soirée en velours noir à col dur qui, aux yeux de Harry, lui donnait l’air d’un vicaire. Pansy Parkinson, dans une robe rose pâle surchargée de dentelles, lui tenait étroitement le bras. Crabbe et Goyle étaient tous deux vêtus de vert. On aurait dit deux rochers recouverts de mousse et Harry remarqua avec satisfaction que ni l’un ni l’autre n’avait réussi à se trouver une partenaire.
Les grandes portes de chêne de l’entrée s’ouvrirent et tout le monde se retourna pour voir arriver les élèves de Durmstrang menés par le professeur Karkaroff. Le ravissant jeune Krum, habillé d’une élégante robe bleue, était en tête du groupe, accompagné d’une fille que Harry ne connaissait pas. A travers la porte ouverte, Harry vit qu’une partie de la pelouse avait été transformée en une espèce de grotte qu’éclairaient des guirlandes lumineuses formées par des centaines de fées vivantes, assises dans des massifs de roses ou voletant au-dessus de statues qui représentaient le père Noël et ses rennes.
La voix du professeur McGonagall s’éleva alors dans le hall.
– Les champions, par ici, s’il vous plaît.
Parvati, le visage rayonnant, rajusta ses bracelets. Harry et elle dirent : « A tout à l’heure » à Ron et à Padma puis s’avancèrent parmi la foule qui s’écarta pour les laisser passer. Le professeur McGonagall, qui portait une robe écossaise à dominante rouge et avait accroché une affreuse couronne de chardons, symbole de l’Ecosse, autour de son chapeau, leur demanda d’attendre à côté de la porte pendant que les autres élèves entraient dans la Grande Salle. Ils devaient y pénétrer à leur tour, les uns derrière les autres, lorsque leurs camarades seraient installés à leurs tables. Fleur Delacour et Roger Davies attendirent tout près de l’entrée. Davies paraissait si émerveillé d’avoir été choisi comme cavalier par Fleur qu’il rayonnait de gratitude et de prévoyance envers elle. Cedric et Cho étaient également tout près de Harry qui détourna les yeux pour ne pas avoir à leur parler. Son regard se posa alors sur la fille qui accompagnait Krum et il sourit, surpris.
C’était Hermione.
Mais elle était méconnaissable. Elle était transformée – ou peut-être était-ce l’excitation de Harry qui embuait ses sens. Le regard d’Hermione embrassa le public, puis se posa sur Harry avec un sourire calme et assuré. Il sentit un chaleureux frisson parcourir sa colonne vertébrale. Peut-être portait-elle autre chose que d’habitude, peut-être s’était-elle coiffée différemment – et alors ? En tout cas, son maintien était différent. Elle souriait – avec une infime nervosité, il est vrai – mais elle se sentait à sa place, et sa posture s’en ressentait.
– Salut, Harry ! dit-elle. Salut, Parvati !
Parvati fixait Hermione avec un air encourageant. Elle n’était d’ailleurs pas la seule. Lorsque les portes de la Grande Salle s’ouvrirent, les filles du fan-club qui épiait Krum dans la bibliothèque passèrent devant eux en jetant à Hermione des regards solidaires. Pansy Parkinson, toujours au bras de Malefoy, ouvrit la bouche de stupeur lorsqu’elle la reconnut et Malefoy lui-même sembla incapable de trouver une insulte à lui lancer.