Moi, j’aime bien les frissons. Encore plus quand ils dévalent sur mon dos à toute allure, sans prévenir, tandis que le son m’enveloppe, me transporte dans l’univers musical d’une voix cherchant ses limites… On connaît tous AC/DC ou bien Michael Jackson, avec leurs prouesses vocales incomparables, mais d’autres trésors sont mieux cachés. Ces voix s’élèvent, poussent, forcent sur leurs cordes vocales et fatiguent leur larynx, mais elles nous rappellent l’urgence à être vivant – une urgence qui ne tolère aucun délai !
Billy Talent – The Dead Can’t Testify
La légende veut que le groupe soit le plus satisfait des prises de son vocales lorsque le chanteur commence à se fatiguer, que sa voix s’éraille presque, au bout d’une bonne dizaine de prises … J’adore :
- L’ambiance de l’histoire. On se représente un village isolé, un sombre soir d’automne pluvieux, et une chasse à l’homme dégouttante d’injustice…
- Le travail poussé de composition – Une intro électrisante, un riff puissant, les tierces vocales et les trémolos envoûtants du refrain
- L’énergie du désespoir, de son combat pour pouvoir vivre, de sa dénonciation de la discrimination mortelle dont il est victime…
Suggestion d’écoute : A trois heures du matin, dans le noir, au réveil d’un rêve dont les détails s’effacent – mais maintenant que j’y pense, c’était de la discrimination, que j’ai subi, cette fameuse journée au collège …
Propuskowicz – Into the Lair
Ambiance Klezmer baltique, je kiffe :
- Le riff de clarinette, virtuose et varié – j’aime particulièrement la dernière phrase en triolets avant la reprise
- Les airs d’apocalypses avec l’orgue et sa grosse voix. On se sent tout petit, quand on entre dans cette tanière …
- Le bridge tout calme, posé, tout en ambiance, surpris soudainement par la petite guitare qui reprend sa cocotte …
Suggestion d’éducation : Quand on se sent alternatif, à cuisiner un poulet au curry tout seul chez soi…
Gustav – Soldat_in oder Veteran
DJ viennoise, Gustav est, contrairement à ce que son nom d’artiste laisse à présumer, une femme. DJ féministe d’ailleurs très engagée, puisqu’elle écrit cette chanson qui porte sur l’incessant balancier des militant.e.s entre l’énergie protestatrice indispensable à la cause et la fatigue désespérante qui nous envahit parfois quand il nous semble que si peu a changé … Je déguste :
- La sensibilité et l’humour des paroles, en un cocktail ébouriffé – on y trouve des questions du type « Tu parles de décollage ou de désastre ? Tu essayes par l’arrière ou par l’avant ? Quand tu rêves, est-ce que tu rêves en tant que sujet résistant ? Penses-tu que la façon dont la question est posée est trop imprécise ? », ou bien « Tu attaques ou tu poursuis (en justice) ? Es-tu un_e soldat_e ou un_e vétéran ? »
- Le groove insistant, tandis que tout le reste part un peu dans tous les sens – un peu comme dans le mouvement féministe : les vues se diversifient à l’infinie, mais le combat est toujours le même. Au final, c’est un peu comme une fractale …
- La folie incontrôlable transmise par la musique – même les tierces sont à la fois majeures et mineures ! On sent la fatigue en même temps que l’irrépressible, la formidable énergie qui nous pousse à avancer …
Suggestion d’écoute : Quand on a besoin d’un peu de distance par rapport à une cause pour laquelle on est engagé.e … La radicalisation, c’est pas automatique – discutez-en avec vos ami.e.s !
Muse – Screenager
J’aurais pu en choisir d’autres, mais je me crispe chaque fois que j’entends Matthew Bellamy aspirer de l’air comme une locomotive asthmatique, donc on va prendre une ballade. J’aime bien :
- La création musicale extrêmement soignée : les gammes et les mesures irrégulières, les percussions, les timbres créant une atmosphère feutrée et nuageuse…
- La tension contenue et continue due à sa performance vocale – très retenue, mais qui force quand même sur la voix, de par les très longues notes qu’il tient (clin d’œil à la voix de tête sur le refrain)
- Le chorus enchanteur avec les synthétiseurs qui montent et descendent des arpèges à toute allure et la modulation amenée en douceur par son chromatisme…
Suggestion d’écoute : Vous ne rêvez pas. Vous avez traversé un portail et vous trouvez dans une autre dimension – ce qui aurait pu être de l’herbe est de la laine, les arbres sont d’immenses plumes dont les glands éclosent en colibris pollinisateurs, et la brume qui vous enveloppe sent l’amande grillée …
Keane – Somewhere Only We Know
Le chanteur de Keane, Tom Chaplin, a une articulation particulièrement claire – il transmet l’émotion si directement, sans intermédiaire, me faisant vibrer la colonne à travers mon moniteur ! Je vibre pour :
- Les contrastes dynamiques. Une strophe douce, berçante, puis une seconde, plus entrainante et vivante, puis le chorus à peine plus énergique – un crescendo l’air de rien …
- Le retour au calme à la fin du refrain, où le chanteur répète « somewhere only we know » distraitement, sur des accords nostalgiques – comme si le chanteur avait juste disparu dans ses souvenirs, sans se rendre compte que nous étions encore là …
- Cette phrase, à 2:52, “And if you have a minute, why don’t we go
Talk about it somewhere only we know?” – Vous les sentez, les consonnes? Elles parlent de souvenirs qui nous étreignent, de moments partagés, de secrets intimes, de murmures échangés à des heures insomniaques …
Suggestion d’écoute : Alors que le vent balaye les rues abandonnées par tous sauf les promeneurs.ses acharné.e.s, envoyant valser les branches des saules pleureurs, qu’une éclaircie se reflète sur du bitume délavé par une averse frileuse – une fragrance de renouveau vous étreint, entre soupirs et espoirs…