Des black blocs aux jets de bombes lacrymos, des cocktails molotov aux boucliers des CRS, la question de la violence dans les dernières manifestations a agité les médias. Dans un contexte politique troublé comme le notre en ce moment, il est plus aisé de s’interroger sur les débordements violents des manifestations plutôt que sur les réels enjeux de celles-ci, n’est-ce-pas Messieurs Le Monde, BFM, Libé et compagnie ?
Malgré tout, la question de la violence dans les manifestations est très intéressante, notamment lorsqu’on se penche sur la distinction entre violence légitime et violence légale.
Petit point vocabulaire : Quelle est la différence entre la légitimité et la légalité ?
Un acte légal est un acte qui entre dans le cadre du droit positif, c’est-à-dire du droit écrit au sens purement juridique du terme. Un acte légitime entre dans la catégorie bien plus vaste, et plus floue, du droit naturel : il s’agit d’un supposé tronc commun, objectif et universel, des droits de chaque individu. Il se construit sur des principes (a priori) immuables : le droit à la vie, le droit à la dignité, le droit à la liberté…
Bien sûr, de nombreu.x.ses philosophes depuis l’Antiquité se sont penché.e.s sur cette notion fascinante du droit naturel, qui est intrinsèquement liée à la question de la morale. Mais ce qui est particulièrement intéressant c’est le lien unissant légitimité et légalité : bien que droit naturel et droit positif soient en apparence opposés, ce n’est pas le cas ! Car le droit naturel joue un rôle déterminant dans l’autorité des lois d’un Etat. Le droit positif doit à tout prix s’appuyer sur le droit naturel pour être accepté, donc. Car si un texte de loi n’obéissait pas à une règle morale fondamentale, alors il serait immédiatement repoussé.
Mais alors, si la loi naturelle n’est pas la même pour tou.te.s, que se passe-t-il ? Dans quelle mesure la légalité, ou la légitimité, d’une action dépendent-elles de la morale propre à chaque individu ?
Les violences policières : Un acte (plus ou moins) légal
Revenons à nos moutons. Dans les violences de manifestations, il y a principalement deux acteurs : les forces de l’ordre et les manifestant.e.s.
La légalité de la violence policière est de droit commun dans de nombreux Etats, en raison d’une logique de suprématie de l’intérêt public. Ainsi, l’usage de la force est toléré s’il s’agit de protéger une partie de la population ou de défendre les principes fondateurs de la République, auxquels cas la responsabilité n’est plus celle de l’agent.e mais de l’Etat qu’il ou elle représente. Ces pratiques sont normalement très encadrées, et chaque agent.e doit connaître les moindres détails de ce qui est autorisé par la loi, ou non.
Mais bien sûr, les débordements sont très nombreux. L’agent.e des forces de l’ordre occupe une position de pouvoir, du fait de son uniforme, ses armes, et sa force légale symboliques. Les « bavures » débordant du cadre légal sont donc quotidiennes. Les violences policières sont donc loin d’être toutes légales, celles lors des manifestations y compris, contrairement à une idée très largement répandue !
Les débordements violents des manifestants sont-ils légitimes ?
La scène est courante, presque banale. Dans l’effervescence de la lutte, poussé.e par la colère et par la foule, un.e manifestant.e jette un projectile sur un.e CRS. Si son acte est isolé, l’amorce de conflit se conclut plutôt calmement ; sinon, la violence grimpe très vite.
Un.e manifestant.e prêt.e à défiler dans la rue se bat le plus souvent pour ce qu’il ou elle perçoit comme faisant partie de ses droits fondamentaux, c’est-à-dire au nom du droit naturel. Si une action est menée au nom du droit naturel, n’est-elle donc pas forcément légitime ? La légitimité prend alors pas sur la légalité, d’autant plus lorsque la réponse policière est démesurée. Mais cette démarche de légitimation de toute lutte peut vite aller trop loin, car un.e terroriste prêt.e à assassiner des centaines de personnes se bat également pour ce qu’il ou elle considère comme juste ; cependant, nul.le ne s’avancerait à appeler cet acte légitime.
Traditionnellement, dans une démocratie, la légitimité de la violence est plutôt attribuée aux représentants de l’Etat, c’est à dire aux forces armées, qui défendraient l’intérêt général. Mais leur position de pouvoir, et surtout les moyens dont ils usent pour assurer l’ordre sont vivement critiqués.
La question centrale, et qui impose probablement une impossibilité de trancher entre « violence légitime » et « violence légale », est celle de l’universalité, ou non, du droit naturel.
Mais alors Docteur, quel est le verdict ?
Le verdict, c’est que ça dépend. (oui, je sais, heureusement que Berthine est là).
Si l’on décide de considérer la légitimité d’une action comme l’expression d’un droit naturel propre à celui ou celle exécutant cette action, alors toute action violente peut être légitimisée, sans pour autant être toujours légale. Mais si l’on choisit de considérer le droit naturel comme un ensemble de principes universels, alors la légitimité de l’action dépend du contexte social et politique dans lequel elle se déroule ; une irruption de violence non-provoquée par une autre violence est le plus souvent considérée comme illégitime. Ainsi, un.e manifestant.e qui décide de lancer un projectile sur un.e agent.e passif ferait preuve de violence « gratuite », donc illégitime. Evidemment, la « gratuité » de cette violence peut être remise en question par de nombreux éléments : violence du système contre lequel il ou elle manifeste, violence symbolique des uniformes, ou encore bavures policières vite effacées par les médias… Ici, les questions de l’opinion politique et de notre accord (ou non) avec le combat mené par le ou la manifestant.e entrent en jeu.
Tout.e pacifiste vous donnerait la réponse suivante : la violence, quel que soit son contexte, quelle que soit sa légalité attribuée par l’Etat, est une atteinte aux droit fondamentaux de sécurité et de vie ; ainsi, aucune violence ne peut être légitime !