Françoise Héritier est une éminente anthropologue, ethnologue et féministe française. Née en 1933, elle fut la deuxième femme à devenir professeur au Collège de France. En 1980 elle devint directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Son champ de recherche sociale porte notamment sur la domination masculine, les systèmes de parenté et la prohibition de l’inceste.1 Ses deux livres Masculin Féminin I, La pensée de la différence ; II, Dissoudre la hiérarchie sont très célèbres dans la littérature féministe. Françoise Héritier est morte le 15 novembre 2017, le jour de ses 84 ans.
Dans son livre Le Sel de la vie parut en 2012 chez Odile Jacob, Françoise Héritier sort du champ intellectuel pour nous offrir un témoignage sur ce qui fait pour elle le « sel de la vie » sous forme de monologue intime léger. Selon ses propres mots, elle n’a « pas eu l’intention d’écrire un livre de sagesse ni d’aphorismes ».2
Françoise Héritier nous fait part dans la présentation du livre des motifs de son écriture. Pendant l’été, elle reçoit une carte de vacances depuis l’Écosse d’un ami grand professeur, spécialiste des maladies auto-immunes, sur laquelle il est inscrit « une semaine volée ». Ce professeur de médecine, comme elle nous l’indique, passe l’écrasante majorité de son temps à travailler malgré son âge, et s’excuse de prendre du temps pour lui. C’est en lui répondant, presque agacée de la culpabilité dont il fait preuve de prendre du temps pour vivre, qu’elle rend compte phrase par phrase sur tout ce qui rend sa vie singulière. Le livre n’est ainsi composé que d’énumérations de phrases infinitives. « chuchoter au téléphone » ;« prendre des rendez-vous des années à l’avance » « admirer les belles glycines de maisons particulières à Redon »…
C’est un livre qu’il faut prendre le temps de lire car le style saccadé peut être déroutant voire lassant et pourtant chaque expression mérite que l’on s’y attarde. Certaines ne peuvent être connues que d’elle ou presque car elles font référence à son travail d’ethnologue sur le terrain « sortir sur le tarmac à la saison des pluies à la nuit à Niamey et sentir l’odeur chaude et épicée de la terre africaine », d’autres nous sont familières « humer avec bonheur l’odeur du foin fraîchement coupé », certaines sont franchement drôles « identifier des instruments dont on ignore l’usage », ou poétiques « apprécier la qualité du silence après une orgie de bruit ».
Qu’est-ce qu’avoir le goût de la vie ? C’est peut-être ce que ce livre tente de nous apprendre : repérer ces moments très fugitifs de grâce dont on se souvient et que l’on retrouve tout au long de notre existence. Le Sel de la vie est une invitation à se rendre présent à l’instant, à nous, aux autres. Une invitation à embrasser la vie, en étant à l’écoute permanente de nos sens, à l’affut de nos émotions et pourquoi pas une invitation à faire à notre tour la liste de ce qui donne cette saveur particulière, unique à notre passage sur Terre.
Si son intention première n’était pas d’écrire un livre de sagesse, c’est définitivement plus sage que nous sortons de cette lecture. À lire et à méditer.
1https://www.franceculture.fr/personne-francoise-heritier
2https://www.youtube.com/watch?v=wCOaXMNx4eg