Malgré sa diminution progressive en France, la consommation quotidienne d’alcool est encore fortement banalisée, voire perçue positivement (« c’est un bon vivant », « on ne refuse pas du bon vin », « elle sait s’amuser »). A tel point que nous connaissons tous et toutes plusieurs personnes souffrant d’alcoolisme, ou que l’on soupçonne d’avoir développé une addiction. Il est également courant de se questionner soi-même sur sa propension à l’alcoolisme.
Mais l’addiction commence bien quelque part : sur la terrasse d’un bar, en soirée entre ami·e·s, en déjeuner de famille, l’omniprésence de l’alcool dans nos vies rend sa consommation anecdotique, alors qu’elle est lourde de conséquences, tant physiques que psychiques.
Ayant personnellement observé sur une personne proche les ravages que cela peut causer sur le long-terme, même après plus d’une décennie de sevrage (notamment à cause de l’endommagement définitif du système nerveux), je suis particulièrement touchée par ce sujet. De fait, cet article est plus un billet d’humeur qu’une revue scientifique.
Boire pour le goût, ou boire pour les effets ?
Généralement, l’alcool est amer. Quand il est fort, il peut brûler la gorge et l’oesophage. S’il est commun d’apprécier le goût d’une bonne bière, du vin rouge ou du whisky, il est aussi indéniable qu’une grande majorité des cocktails est conçue pour masquer le goût de l’alcool. Dès lors, on se pose la question : pourquoi ne pas boire un cocktail sans alcool ?
J’avoue, c’est une question très rhétorique. La recherche des effets de l’alcool pousse très souvent à sa consommation, que ce soit en quantité (prendre 3 pintes en une soirée plutôt que de siroter un demi) ou en dosage (prendre un cocktail très sucré pour ne pas sentir la vodka).
L’alcool détend et rend joyeux. Mais il rend aussi agressif, lunatique, et il endort. Consommer de l’alcool n’est pas synonyme d’une bonne soirée, et la sobriété n’empêche pas la joie. Ainsi, l’inconscient collectif semble accorder beaucoup trop de pouvoirs positifs à l’alcool, alors que ses effets sont dévastateurs (sautes d’humeur, fatigue chronique, dépression, poussées suicidaires, multiples troubles du foie, cancers, etc.).
Au-delà, il peut arriver de ressentir le besoin de boire de l’alcool pour supporter une situation sociale. Dans ce cas, il est bon d’interroger l’origine du mal-être (interne ou externe) qui provoque la recherche d’un changement d’état psychique. Est-ce vraiment nécessaire d’accepter une situation qui provoque un malaise en nous, au point de devoir boire pour la traverser ?
Boire parce que les autres boivent
Il existe une émulation autour de la consommation d’alcool qui implique de le faire à plusieurs. Serait-ce parce que boire seul·e est un signe critique d’addiction ? En tout cas, il suffit d’observer les éléments de langage utilisés fréquemment pour comprendre la pression du groupe, notamment : « j’avais vraiment envie de boire une bière/un verre, mais si tu ne bois pas, je vais pas boire tout·e seul·e ».
La question de la quantité est aussi à remarquer, avec les « allez, je t’en sers un autre » ou « tu prendras bien un deuxième verre quand même ». Dans mes souvenirs, on ne parlait pas d’un sirop de violette.
Ce lien de l’alcool au groupe et à la fête est complètement intégré dans notre socialisation, si ancré qu’il est dur à questionner. Il serait facile de se dire que les formulations évoquées précédemment sont innocentes, que c’est une façon de parler, etc. Pourtant, il est fréquent de se retrouver à boire plus d’alcool qu’on aurait voulu, qu’on avait prévu.
La sobriété, ça casse l’ambiance
Il est aussi très commun de ne pas respecter les désirs de sobriété ou les tentatives de sevrage de nos proches : « C’est pas une bière qui va te tuer quand même », ou « du cidre c’est pas de l’alcool », ou « roh t’es pas drôle », « tu sais pas t’amuser », « tu casses l’ambiance »… Ne pas boire d’alcool dérange, ce n’est pas normal. La présence d’une personne sobre questionne le status quo de l’addiction générale, et amène parfois le reste de l’assemblée à réinterroger sa relation à l’alcool, ce qui n’est jamais très agréable.
L’alcoolisme n’est pas pris au sérieux
L’alcoolisme peut provoquer des dépressions chez une personne qui ne présentait aucun signe avant-coureur. De nombreuses études montrent le lien entre consommation abusive ou dépendance à l’alcool et la propension au suicide. En effet, le fait d’être alcoolo-dépendant multiplierait par huit le risque de crise suicidaire.
Par ailleurs, on ne le sait pas si on ne le vit pas, mais le système de prise en charge de l’alcoolisme est particulièrement insuffisant. Quand une personne dépendante fait l’immense pas d’aller à l’hôpital pour se sevrer, elle est invitée à y passer la nuit (2-3 jours tout au plus) et repart le lendemain avec une ordonnance d’anxiolytiques. Pas de période de désintoxication, pas de surveillance, pas de suivi. Il ne reste que la volonté, très souvent attaquée par l’alcool, pour remplacer l’objet de l’addiction par des médicaments. Ce manque de soutien est une énième preuve du manque de prise en compte de l’alcoolisme en France.
Quelques pistes ?
Pourquoi l’alcoolisme touche-t-il majoritairement les hommes ? Pourquoi boit-on pour oublier ? Pourquoi avons-nous besoin de l’alcool pour passer une bonne soirée, ou pour s’évader ?
Si l’émotionnel semble aussi lié à la consommation d’alcool, peut-être serait-il judicieux d’interroger les outils qui nous sont offerts pour une meilleure gestion de nos émotions, pour éviter leur refoulement et les tentatives de fuite de nous-mêmes ou de notre vie. Fuite qui nous est offerte, entre autres, par l’alcool.