Le retour des beaux jours marque un changement vestimentaire obligatoire. Pour ne pas trop souffrir de la chaleur, les tissus se doivent être plus légers, les chaussures ouvertes et les manches plus courtes. Pour beaucoup de femmes, cette réapparition annuelle du soleil est synonyme d’un moment très attendu : pouvoir porter des robes ou des jupes à gogo et profiter de ce plaisir.
Pour moi, ce n’est pas si évident, car je ne porte pas de robe ni de jupe, et ce depuis le tout début de mon adolescence. Si j’avais eu le choix, je n’en aurais probablement jamais porté avant mon adolescence non plus. J’étais une enfant du genre énergique, je ne supportais pas les vêtements entravant mes mouvements et mes roulades dans l’herbe ; ainsi, robes, jupes, mais aussi collants, petites chaussures, ou cardigans m’étaient insupportables, d’autant plus que la majorité de ces vêtements juraient terriblement avec mes goûts de l’époque. Je ne voulais qu’une chose, c’était être habillée « comme un garçon » et qu’on me laisse tranquille !
Plusieurs éléments pourraient expliquer ce rejet que j’avais des éléments de l’apparence traditionnellement associés au féminin. Dans un premier temps, comme je l’ai déjà expliqué, mon tempérament m’a rapidement fait mettre de côté tout ce qui n’était pas « pratique » et ce qui m’empêchait d’exécuter les mouvements que je voulais ( si la question de de l’aspect peu pratique de la robe ou de la jupe vous intéresse je vous recommande la lecture de cet entretien de Pierre Bourdieu). On pourrait également tenter d’expliquer ce rejet en regardant de plus près la relation que j’entretiens avec ma grande sœur : nous sommes proches et nous nous entendons bien, mais elle a toujours été très « féminine ». Elle a très tôt voulu se maquiller, toujours adoré les robes et le rose… Chaque membre d’une fratrie le sait bien : on a tendance à se construire en opposition avec nos frères ou sœurs, dans une tentative de se distinguer des ses pairs aux yeux de ses parents. Ainsi, je me demande parfois si ma volonté très prononcée de rejeter tous ces éléments ne vient pas de là. Ou alors, peut-être que mes goût font tout simplement partie de ma personnalité, qu’ils se sont construits avec l’apport de centaines de facteurs sociaux et psychologiques, et qu’il ne faut pas aller chercher plus loin que ça.
Toujours est-il que de mes premiers souvenirs à mes 10 ans environ, ma mère a régulièrement essayé de me convaincre de porter des vêtements plus « féminins ». Parfois, dans le cadre de grandes occasions familiales par exemple, elle m’a forcée à porter une robe, une jupe, des petites chaussures. Ces expériences m’ont profondément marquée et ont modelé la relation que j’ai avec mon corps toujours aujourd’hui, plus de 10 ans plus tard.
Lorsqu’on est une fille, on est confrontée très tôt à l’impératif de l’apparence. Une petite fille doit avoir l’air soignée, doit se tenir correctement, doit correspondre au normes de genre, donc. En tant que « garçon manqué » (je rechigne beaucoup à utiliser cette expression que je trouve profondément malsaine) je me faisais souvent remarquer et catégoriser par les membres adultes de mon entourage. J’étais la rebelle, celle qui ne voulait pas faire comme les autres petites filles. Lorsque j’apparaissais habillée en robe, ou en jupe, j’essuyais des dizaines de commentaires de la part de celles et ceux qui avaient l’habitude de me voir habillée autrement : certain.e.s se voulaient bienveillant.e.s (« Que tu es belle habillée en robe comme-ça ! »), d’autres accusateurs ou accusatrices (« Tu vois, si tu mettais des jupes plus souvent, tu te mettrais beaucoup plus en valeur ! »), d’autres plutôt moqueu.r.se.s (« Oh regardez ! Marie a mis une robe ! »), etc. Toutes ces réflexions m’ont rendue très inconfortable car elles me donnaient l’impression d’être déguisée en clown et que chacun.e se permettait donc de juger mon apparence. Le port de la robe amenait ainsi un double-inconfort : non seulement je ne me sentais pas libre de mes mouvements, mais en plus je me sentais observée et raillée.
Le début de l’adolescence a marqué pour moi une grande libération, puisqu’on a cessé de me forcer à porter une tenue particulière et j’ai pu jouir d’une liberté de choix. Evidemment, la pression sociale et les petites remarques en coin n’ont pas tout à fait disparu, mais je me considérais indépendante dans le choix de mon apparence. Cependant, les filles autour de moi ont rapidement commencé à se féminiser et se sexualiser – en portant robes, talons, maquillage par exemple – tandis que ces éléments ne m’attiraient pas ; j’ai rapidement eu l’impression qu’un écart se creusait entre elles et moi. Heureusement, je me suis construit une vie sociale tout à fait normale et ces différences de choix d’apparence ne m’ont pas empêchée de me développer correctement vis-à-vis de mon acceptation de mon propre corps.
Cependant, aujourd’hui toujours, je me sens extrêmement inconfortable dans toutes les situations qui me demandent un effort vestimentaire particulier ; que ce soient des galas habillés ou une sortie en boîte, la peur de ne pas être correctement habillée car je ne veux pas porter de robe ou de maquillage m’apporte régulièrement une grande dose de stress. Bien que je ne sois pas dans un rejet complet de toute forme de tenues vestimentaires « féminines » (je porte des petits shorts l’été, et des vêtements en général coupés pour femmes), je ne me sentirais absolument pas capable de porter une robe aujourd’hui. Et l’explication est simple ! C’est tout simplement que je n’en ai pas particulièrement envie, et que même si l’envie me prenait de le faire, je me sentirais jugée, observée, et aussi bienveillants ces regards soient-ils, je ne me sentirais donc pas belle ou confortable.
Plus j’y repense, plus je me dis que c’est fort dommage, et que si je n’avais pas été confrontée si jeune à ce genre de problématiques, j’aurais su me sentir bien plus libre dans ma manière de m’habiller. Si vous avez-vous-même une fille, ou si une jeune fille de votre entourage a un style vestimentaire ne correspondant pas aux normes de genre, essayez de ne jamais lui faire de commentaire. Même un commentaire se voulant bienveillant peut l’empêcher de se sentir à l’aise ; et, évidemment, évitez de la forcer à s’habiller d’une manière particulière.
Bien que les femmes soient beaucoup plus souvent visées par la pression sociale de l’apparence que les hommes, il est aussi très important de laisser une liberté totale de choix aux jeunes garçons afin de les laisser affirmer leurs goûts et exprimer pleinement leurs personnalités et leurs préférences !