Tout a commencé avec une petite annonce sur une radio locale. Mme Martin (le nom a été modifié) possède un grand jardin qui est un peu à l’abandon depuis la mort de son mari. Comme elle est assez âgée, elle ne peut pas s’en occuper elle même. Elle propose donc d’en prêter gratuitement des parcelles pour que d’autres puissent y jardiner, remettre un peu tout ça en valeur.
Une oreille attentive, celle de mon copain, capte l’information et m’en parle de suite. Ce serait parfait pour nous et nos ami·e·s qui n’avons pas de jardin à Poitiers mais n’en avons pourtant pas moins la main verte et des envies de potager.
Après un coup de fil, ça y est, nous avons notre bout de jardin ! Nous sommes les troisièmes à avoir appelé et les derniers à être accepté·e·s (après cela ferait beaucoup de monde dans le jardin de Mme Martin). La petite annonce a très bien marché.
Par un week-end ensoleillé, nous nous enfonçons dans la campagne poitevine, nous perdons un peu, puis arrivons enfin chez Mme Martin. Elle habite un peu au milieu de nul part, près d’un axe assez fréquenté. On voit que la maison est rafistolée de partout. Le jardin, lui, est un peu un bric-à-brac mais il y a quand même des fleurs en parterre et de beaux arbres fruitiers.
Mme Martin vient doucement nous accueillir à son portail qui s’ouvre mal. Nous ne savons pas trop quoi dire, nous sommes chez une inconnue. Mais le malaise ne dure pas et nous allons d’abord à la découverte du jardin pour choisir notre petit coin à nous. La vieille dame nous indique où les autres jardiniers ont choisi de cultiver. Nous nous décidons pour un carré à coté des cerisiers.
Après ce petit tour d’horizon, nous allons retrouver notre hôte. Nous avons préparé un gâteau pour prendre un goûter avec elle. Elle semble très touchée et dit : « C’est la première fois qu’on m’offre un gâteau ». Mme Martin nous parle de ses enfants, de son quotidien. Ses enfants n’habitent pas très loin mais elle semble être tout de même assez seule. Elle a pour lui tenir compagnie deux jeunes chiennes très énergiques (et sympathiques !) et un nombre indéterminé de chats (j’en ai compté trois, mon copain davantage, c’est assez mystérieux). Elle joue à des jeux, notamment au Scrabble, sur sa tablette et une fois par semaine, elle va au club de Scrabble du village le plus proche.
Prêter son jardin n’est pas seulement un moyen de remettre en valeurs un terrain un peu abandonné, c’est aussi offrir un peu de compagnie.
En 2010, 1 personne âgée sur 4 est isolée en France. Mme Martin, puisqu’elle est encore en contact avec ses enfants et parce qu’elle sort une fois par semaine au club ne rentre peut-être pas dans cette catégorie. Pourtant, cela ne semble pas beaucoup. Prêter son jardin est une solution gagnant-gagnant. Ainsi, du monde passe régulièrement, lui tient un peu compagnie et en échange on cultive son petit bout de terre. Serait-ce le jardin partagé 2.0 ?
Les jardins partagés ne sont pas nés d’hier. Leur histoire remonte au Moyen-Âge, où des paysans rebelles se constituaient des lopins collectifs. Durant, la révolution industriel, les ouvriers cultivaient également des petits potagers pour améliorer leur quotidien. Ces initiatives étaient d’ailleurs fortement encouragées par le mouvement prohibitionniste au Royaume-Uni car un ouvrier qui jardine à la sortie du travail est un homme qui ne boit pas au pub. Les jardins partagés urbains tels que nous les connaissons aujourd’hui ont connu leur essor dans les années 1970, d’abord aux Etats-Unis. Il s’agissait de remettre en valeurs des friches urbaines et de reconstruire par le biais de ce projet du lien social. Les projets de jardins partagés ont fleuri un peu partout maintenant et sont fortement encouragés par les communes. On en compte ainsi trois à Poitiers (à Beaulieu, aux Couronneries et à la Blaiserie). Le ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Énergie, leur a même donné en 2014 une définition dans « Les Jardins Collectifs » : « On entend par jardins partagés les jardins créés ou animés collectivement, ayant pour objet de développer des liens sociaux de proximité par le biais d’activités sociales, culturelles ou éducatives et étant accessibles au public. ». Et oui, il s’agit bien d’une manière efficace de promouvoir un tant soit peu l’écologie…
Avec notre carré que nous cultivons avec des copains et copines chez Mme Martin, nous pouvons dire que nous avons un jardin partagé à la campagne. Et peut-être s’agit-il là d’une solution à développer pour recréer du lien social entre différentes générations dans les zones rurales. Une manière efficace d’éviter l’isolement. Et pour des petits citadins comme nous, c’est un véritable bonheur d’aller passer quelques heures à l’extérieur, de jouer avec les chiens et de réfléchir à la manière la plus juste de faire pousser des plantes en respectant la vie qui grouille sous la surface du sol.
Vivement le temps des cerises !