Comme de nombreux végétarien.ne.s et de nombreux véganes depuis des lustres, il m’est arrivé, au cours de discussions qui auraient dû prendre fin plus tôt, de pousser le malaise d’un carnivore à un point tel que sa seule échappatoire encore disponible était de me sensibiliser à la souffrance des légumes que j’ébouillante quotidiennement. « Mais les carottes, ne souffrent-elles pas elles aussi !? », m’a-t-on asséné avec une indignation de façade.
Chers lecteurs, chères lectrices, si vous êtes véganes ou végétarien.ne.s, je vous propose ici quelques arguments bétons de défense contre cette ultime provocation dont des carnistes de plus en plus virulents sont coutumiers. Et si vous ne l’êtes pas, apprenez directement à vos dépends ce qu’il peut vous en cuire si vous osez vous rabaisser à une telle bêtise.
Pour les premiers donc, commencez par répondre gentiment à votre agresseur que, en admettant que les plantes souffrent, lui-même ne se gêne pas pour torturer régulièrement ses victimes à coups d’épluche-légumes ; que vous n’avez pas l’intention de prendre au sérieux un.e opportuniste, qui s’improvise porte-drapeau de victimes muettes dont auparavant il ne s’était jamais soucié, et qui n’arbore outrancièrement la cause que dans le but désespéré de vous mettre en défaut.
Mais cette première passe d’armes ne suffit pas. Quand bien même celui ou celle qui dirait « il est mal de torturer » serait tortionnaire lui-même, il n’empêche qu’il a raison. Aussi faut-il toujours préférer, si l’on veut rester dans le débat d’idées, s’occuper du contenu même de ce qu’on nous dit, plutôt que du statut de celui ou celle qui parle.
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Il faut alors sortir un attirail lourd quant au fond de l’affaire. Je vous propose pour cela de reprendre la stratégie en deux temps utilisée par Peter Singer, l’un des pères fondateurs de l’éthique animale, dans son ouvrage phare de 1975 La Libération animale. Dans le dernier chapitre, il reprend toutes les objections qu’on lui adresse souvent pour refuser le végétarisme. Bien souvent il ne s’agit pas vraiment d’arguments, mais de justifications a posteriori pour pouvoir continuer à manger des animaux la conscience tranquille. Parmi ces objections se trouve cette fameuse souffrance des plantes.
Singer a d’abord la charité de restituer dans l’ordre logique ce qui devrait ressembler à un raisonnement : 1) « Certes, on sait que les animaux souffrent » (le carnivore a souvent dû lâcher cette concession assez rapidement dans le débat). 2) « Mais il est vraisemblable que les plantes souffrent aussi ». 3) « Or, il est impossible d’appliquer une égale considération aux plantes comme aux animaux ici, car sinon on mourrait de faim ». 4) « Par conséquent, autant ne rien faire du tout, et continuer à manger de tout » (« par souci d’équité », risquerait le plus malin). »
Pour examiner le raisonnement ainsi restitué, Singer procède en deux temps. Et c’est aussi ce double aspect de sa démonstration qui m’intéresse et que je voudrais vous faire comprendre, car il permet de montrer également quels sont les rapports entre la connaissance scientifique et le raisonnement philosophique, et ainsi de mieux comprendre aussi ce qui caractérise au juste un raisonnement philosophique.
Le premier aspect de sa démonstration, c’est le côté « scientifique ». On pourrait aussi dire « empirique ». Il s’agit de se demander si la réalité correspond bel et bien aux faits qui sont allégués par les propositions prises une par une. En l’occurrence, il faudrait savoir si oui ou non, les plantes souffrent. Or ici, les connaissances scientifiques acquises ne permettent pas du tout de dire que les plantes souffrent. Singer cite trois domaines factuels, dont aucun n’est favorable à l’hypothèse de la souffrance végétale. 1) Le comportement observable des plantes n’atteste aucune réaction suggérant la douleur (il faudrait voir ici comment les dernières découvertes sur leurs réactions chimiques peut être mis en lien avec le concept de douleur). 2) La nature de leur système nerveux, l’absence de système nerveux central, indique que les éventuelles réactions observables ne peuvent pas être de l’ordre d’un vécu ou d’une sensation semblable à la douleur des animaux. 3) L’utilité évolutionnaire de la douleur chez les animaux, c’est-à-dire le fait que la douleur soit utile pour adopter le comportement de protection approprié à la survie de l’espèce, ne se retrouve pas du tout chez les plantes : pas de fuite possible de la source de douleur, par exemple. Au contraire, chez tous les animaux la douleur « sert » à quelque chose, autrement la sélection naturelle ne l’aurait sans doute pas sélectionnée.
Ces indices ne sont pas des preuves irréfutables de l’absence de souffrance végétale. Ils peuvent évoluer au fil des découvertes, comme cela a déjà été le cas. Ils sont en tous cas des arguments forts qui rendent la douleur de la carotte hautement invraisemblable.
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Mais le carnivore courageux peut toujours, à ce stade, mobiliser son arsenal d’histoire des sciences, convoquer le dernier best-seller qu’il n’a pas lu sur le sujet, et vous rétorquer que « si si, on vient de prouver que les arbres souffrent ! » ; que « de toute façon les sciences évoluent et on ne tardera pas à le prouver », etc.
C’est alors qu’il ne faudra surtout pas baisser les bras, et qu’il faudra répondre sur le terrain « philosophique ». Non pas sur le terrain des faits, mais sur le terrain de la logique qui relie entre elles les différentes propositions du raisonnement du carnivore.
Voici ce qu’il faudrait dire, selon Singer : Soit ! Admettons qu’un jour on démontre qu’en effet, les plantes souffrent. On admet donc la proposition n°2 de son raisonnement. Mais ce qui ne va pas, c’est la façon dont on passe de la proposition 2 à la proposition 4 !
En effet, de ce que les plantes souffrent aussi, il ne s’ensuit pas du tout logiquement que nous devrions continuer à manger des animaux. Imaginons que deux choses affreuses existent, que vous savez que vous devez lutter contre les deux, mais que vous ne pouvez pas, dans le temps qui vous est imparti, prendre des mesures pour lutter contre les deux. Par exemple aller sauver le chat de la voisine coincé dans l’arbre, ou bien aller chercher un cadeau pour votre meilleur ami dont la soirée d’anniversaire commence dans une heure. Dans ce type de situation, personne jamais ne se dit : « puisque je ne peux pas faire les deux, eh bien je ne fais rien » ! De deux maux vous choisissez toujours celui qui vous semble le moindre.
On peut espérer que le carnivore ainsi éclairé de vos lumières logiques admettra ici que, les animaux souffrant sans doute davantage que les plantes, mieux vaut s’abstenir de les manger eux, plutôt que de s’abstenir de manger les plantes, puisqu’il faut bien continuer à manger quelque chose.
Mais c’est bien connu, « un c… ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ! ». Admettons donc encore que le carnivore inspiré soit sûr de son fait, et vous dise que, puisqu’elles ne peuvent même pas réagir en se déplaçant, la douleur des plantes doit être encore plus insupportable, ou du moins équivalente à celle des animaux. Admettons.
La ficelle est grosse je vous l’accorde, et arrivé à ce niveau on peut aller jusqu’à dire que votre interlocuteur a du mérite et fait même preuve d’une certaine sagesse : il ne craint pas le ridicule. C’est donc là qu’il faut rester à la hauteur, et vous disposez encore pour cela, ch.er.ère.s ami.e.s des animaux, un argument de poids.
En effet, si on accorde que les plantes souffrent autant et même plus que les animaux, eh bien la meilleure solution pour diminuer la souffrance des plantes dans le monde consiste à… arrêter de manger des animaux ! Eh oui, en vertu du fait que nous devons produire en moyenne 10 fois plus de végétaux que nous en avons besoin pour nourrir, parce qu’il nous faut aussi nourrir les animaux que nous mangeons, il s’ensuit que nous faisons souffrir en moyenne 10 fois plus de végétaux que nécessaire, uniquement parce que nous mangeons des animaux !
Par conséquent, à tous les carnivores végéphiles de la dernière pluie, vous pouvez répondre la larme à l’oeil : « Si sincèrement tu es contre la souffrance végétale, je t’en supplie : arrête de manger des animaux ! ».
En principe, à l’issue d’une telle joute, il devrait être clair pour tout le monde que le carnivore se moque de vous depuis le début, tout comme il se moque de la souffrance de la carotte. La seule chose dont il ne se moque pas, c’est de son goût pour la viande. Et il a juste parlé du cri de la carotte pour que vous arrêtiez de l’emmerder avec votre bonne conscience et vos idées. Eh ben c’est raté !
2 Commentaires
Sauf que votre dernière démonstration ne tient pas la route.Si l’on arrête de nourrir et d’élever les animaux …. combien d’espèces disparaîtront de la surface de la terre ? De quel droit nous permettrions nous de sélectionner les espèces qui doivent survivre ? Notre supériorité intellectuelle peut-être ?
Je précise je suis végétarienne depuis l’âge de 11 ans j’en ai 67 et je suis consciente que peut être je fais souffrir des plantes que l’on maltraite déjà avant pour les faire pousser.
Alors oui je suis pour la défense animale mais Non je be me sens pas supérieure aux personnes qui mangent de la viande. Nous sommes tous des maltraitants ne vous en déplaise et le déni et la prétention de certaines castes m’indisposent chaque jour un peu plus .
Vous vous demandez si les végétaux, si l’herbe arrachée souffrent comme les animaux. Il faut que vous sachiez que la nourriture prédestinée pour l’homme par Dieu lui-même a été organisée par le Créateur d’une façon magnifique pour ne pas souffrir; voilà pourquoi Dieu ne lui a pas donné de corps astral. Les plantes n’ont pas de corps astral éveillé, elles sont même satisfaites d’être mangées par l’homme. Dieu, est-il dit, a donné la semence, l’herbe et les fruits à l’homme comme nourriture, jusqu’à ce que l’humanité ait commencé à transgresser ses lois. Omraam Mikhaël Aïvanhov extrait dans : Le sens du végétarisme