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Proies de la solidarité : le démarchage de rue des ONG

Posté par Ju le Zébu 19 juin 2018

Sur le marché du travail, on appelle communément les recruteurs « des chasseurs de tête ». Cachés derrière des numéros de téléphone et des adresses mails, ce sont des prédateurs assez discrets. Vous ne les remarquez que lorsqu’ils vous ont attrapé (ou contacté dit-on dans le langage courant).

Le recruteur de donateurs, ce.te type en polo coloré qui vous coince dans la rue, est un spécimen beaucoup plus voyant et là réside sa technique de chasse. Car on peut parler de technique de chasse. Il se place en groupe de plusieurs individus dans une artère commerciale serrée ou à la sortie d’un centre commercial et cherchent à vous attrapez à l’aide de leurs filets verbaux. « Hé madame, une petite minute sous ce beau soleil ? », « Alors les amoureux, on se balade ? Une minute pour moi ? », « Bonjouuuuur toi ! ». Les phrases en elles-même ne présentent rien de bien particulier mais le ton surjoué sur lequel elles sont généralement proférées m’exaspère. J’aime beaucoup le théâtre de rue mais là, il ne s’agit que d’une grande mascarade fondée sur un juteux business de la culpabilité. En plus de ça, ce sont toujours des BG et charismatiques personnages (selon certaines définitions) qui vous alpaguent et vous font étalage de leur assurance en usant de leur voix et de leur langage corporel pour la bonne cause. Insupportable.

Comme beaucoup de gens, ils me sortent par les trous de nez (pour rester correcte). Depuis mon poste de travail dans une rue marchande, j’ai eu l’occasion de les observer à l’œuvre des journées durant, portant un coup le jaune d’Amnesty International et une autre fois le bleu d’Action Contre la Faim. Ils peuvent changer d’ONG comme de chemise, mais le discours et la technique restent les mêmes et pour cause : ils ne travaillent pas pour les ONG qu’ils représentent mais pour des groupes privés qui les forment au street marketing. En France, en Belgique et en Suisse on trouve notamment ONG Conseils.

C’est Greenpeace qui dans les années 1990 met en place la technique du démarchage de rue. L’ONG voit là un moyen de rajeunir un peu ses donateurs, car les plus de 60 ans sont alors « sursollicités ». Et il s’agit surtout de s’assurer des dons réguliers sur de nombreuses années.

La technique du « face to face » est simple et donne une illusion d’authenticité (vous avez l’impression que cette personne est engagée dans cette ONG, qu’elle défend son bébé) : un recruteur vous interpelle dans la rue et vous propose de parler, de vous présenter son asso et son intérêt. A la fin de l’entretien, il vous demande si vous aussi vous voulez agir et pour ce faire il n’y a rien de plus simple, il suffit de signer un papier et donner son RIB. Et oui, payer c’est agir ! Et c’est facile. On ne s’en rend quasiment pas compte. Qu’est-ce que 5 à 20€ en moins sur votre compte à la fin du mois ? Lorsque j’avais tout juste 18 ans, un garçon, charmant au demeurant, m’a parlé d’ACF. Je n’avais pas osé passé mon chemin en l’ignorant et lorsqu’il m’a dit que 6€ par mois, c’était un ciné ou une pinte en moins et que ça faisait la diff’ ailleurs sur la planète, je n’ai pas su dire non. Je donne toujours 6€ tous les mois. Ça aurait pu être n’importe quelle ONG. Ce jour là, c’était contre la faim dans le monde.

En 2004, Jean-Paul Kogan-Recoing, ancien membre de Greenpeace, fonde la société (SARL, au chiffre d’affaire de 14 718 100,00 €) ONG Conseils. Cette organisation propose aux ONG de recruter et former ces fameux recruteurs de donateurs et de les mettre à leur service. Ces derniers, généralement des étudiants ou des précaires, sont rémunérés à un peu plus que le SMIC, avec quelques avantages et des perspectives d’avancement. Les contrats durent environ 5 à 6 semaines et sont renouvelables. Il s’agit souvent de quelques heures par jour (4h en moyenne), rien de trop pénalisant dans votre emploi du temps.

Toute une charthe éthique est promise et on trouve même la promesse suivante sur le site d’ONG conseils : « Absence de mensonge, de tentative de culpabilisation ou d’agressivité ». Le deuxième point me fait tiquer. La simple présence d’une équipe aux couleurs jaune, bleu ou rouge dans la rue vous fait CULPABILISER. Zigzaguer pour les éviter dans la rue, vous fait CULPABILISER. Leur dire « Non » et entendre « Une prochaine fois » avec un grand sourire (sincère ? j’en doute un peu) vous fait CULPABILISER. Et c’est bien là le moteur de la démarche.

Vous êtes en ville, vous avez peut-être fait les magasins ou bu un coup, vous avez dépensé de l’argent pour vous mais vous ne voulez pas en donner. Vous êtes égoïste. Vous êtes quelqu’un de mauvais. Dire que vous avez tellement de chance de vivre dans un pays riche et vous ne voulez pas partager. Méchant !

Je n’ai pas les compétences suffisantes pour dire si oui ou non l’action des ONG est la solution aux injustices du monde. D’un monde modelé par l’Occident. J’ai quelques doutes. Mais je pense surtout qu’une aide (financière) apportée parce qu’on manifeste un sentiment de culpabilité est une aide bancale. Qu’elle n’est ni sincère, ni pleine. Elle est contrainte.

Depuis un moment maintenant, les ONG utilisent les mêmes techniques marketing que les multi-nationales et autres mastodontes qu’elles disent combattre. Les pubs chocs de Greenpeace en sont un exemple et le démarchage de rue une manifestation supplémentaire du phénomène. Certes la technique s’avère payante mais est-elle vraiment efficace ? Elle ne fait que recopier et entretenir un système financier.  Le changement, c’est pas pour maintenant.

Depuis un petit moment, j’essaye de m’investir dans des actions plus locales. J’ai accompagné une petite fille dans un quartier plus populaire, je donne des cours de français à un mineur isolé, je fais de temps en temps une course pour d’autres jeunes … Et ces gestes-là, plus concrets qu’un virement mensuel, me satisfont. J’agis et j’en constate les résultats. Certes, ça me demande un peu de temps mais l’engagement c’est surtout ça, pour reprendre l’adage : donner de sa personne. Et je pense qu’en donnant 6€, je ne donne pas grand-chose. Comme je mettais plus de sous dans mes actions ici, j’ai pensé à arrêter ma donation (ça fait quand même 5 ans que ça dure). Mais je me suis d’abord sentie COUPABLE et puis lorsque j’ai dépassé ce stade, je ne savais pas comment faire. Et puis la flemme. Pas étonnant que le démarchage en rue soit si rentable. On ne sait pas comment arrêter de donner ! Générosité illimitée !

Pour aller un peu plus loin :

https://blogs.mediapart.fr/revue-frustration/blog/100215/pourquoi-faut-il-detester-les-humanitaires

http://lebansais.blog.lemonde.fr/2011/05/05/devenez-recruteur-de-donateurs-pour-ong/

https://www.lemonde.fr/emploi/article/2014/04/10/recruteur-de-donateurs-un-petit-boulot-pour-une-grande-cause_4398691_1698637.html

http://www.ongconseil.com/

1 Commentaire

CLAIRE 9 août 2019 at 20 h 38 min

Bonjour et bravo.Cela fait longtemps que le démarchage,soit téléphonique, soit de rue m’exaspère.( le mot est faible…).Depuis quelques jours, j’ai franchi un cap et ai répondu, non par un « non » mais par un discours ( au pauvre recruteur) visant à le culpabiliser. Mais pour être plus efficace je vais agir : en écrivant aux associations à qui je donnais et qui font appel à ONG+ pour leur expliquer pourquoi je ne vais plus leur donner ( je vais répartir mes dons entre d’autres associations auxquelles je donne déjà et qui n’ont pas les moyens de faire appel a ONG+).et en essayant de rejoindre une association luttant contre cette technique.Et grâce à votre article j’améliore mon argumentation.

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