Notre société est censée être basée sur un principe de solidarité (« Sentiment d’un devoir moral envers les autres membres d’un groupe, fondé sur l’identité de situation, d’intérêts », Larousse). Cela suppose que nous prenions soin les uns des autres. Pour des quantités de raisons, quelles soient d’ordre social ou médical, des êtres peuvent avoir besoin d’un accompagnement plus ou moins important. Dans l’ordre actuel des choses, le garant de cet accompagnement est l’État. Les solutions sont mises en place par le biais d’institutions adaptées, allant de l’hôpital au bureau d’assistant·e social et bien d’autres. Ce sont les services publiques, c’est le domaine du Social.
Le système repose cependant principalement sur les nombreux corps de métiers qui veillent à prodiguer cet accompagnement. Ce sont les acteurs et actrices du Social. Ce sont des personnes. Leurs actions sont aussi variées que possible mais leur point commun est de venir en aide à celleux qui en ont besoin. Leur rôle est essentiel. Ils sont indispensables. Et pourtant, les métiers du social manquent cruellement de reconnaissance. Alors que leurs conditions de travail sont souvent difficiles, voire précaires dans certains cas, on ne les écoute pas. Celleux à qui ils viennent en aide et eux-même sont relégué·e·s à l’angle mort de notre vision sociale.
Nous n’avons ni le pouvoir, ni la prétention, chez Berthine, de pouvoir trouver les solutions adéquates pour sauver un système social qui semble aller droit dans le mur. Mais nous pouvons écouter. Nous avons choisi de discuter avec de jeunes (et moins jeunes) adultes qui ont choisi d’en faire leur métier. Même s’il y a du chemin à faire, en les rencontrant, nous sommes plein·e·s d’admiration mais aussi d’espoir.
Aujourd’hui, nous rencontrons Gabin, 20 ans, en formation pour devenir AES*. Autrement dit, Gabin se prépare à devenir Accompagnant Éducatif et Social et il va nous expliquer de quoi il retourne plus exactement.
1. En quoi consiste le métier d’AES ?
Le métier d’AES peut toucher un plus large public. Les AES s’occupent du handicap à tous les niveaux. On peut aussi travailler avec des personnes vieillissantes (dans des EPHAD*) et la gériatrie*. Mais on trouve également des AES pour s’occuper des enfants à l’ASE*. Et bientôt, on pourra être amené à travailler dans le domaine psychiatrique. On touche donc pas mal de publics et on peut travailler dans des structures très différentes.
Mais dans tous les cas, mon rôle consiste à accompagner une personne dans la vie de tous les jours en palliant aux difficultés qu’elle peut rencontrer mais aussi en faisant de l’éducatif.
Pour le polyhandicap, par exemple, on est avec les résident·e·s « H24 ». On fait beaucoup de ce qu’on appelle du « Nursing »*. Donc les changes (euh le pipi et le caca quoi), l’hygiène corporelle (ils ne peuvent pas se nettoyer sans aide) et l’alimentation. On propose aussi des activités aux résident·e·s.
2. Qu’est-ce qui t’a conduit vers ce domaine et ce métier en particulier ?
J’ai grandi dans une famille où le social est une caractéristique courante. Aider des gens qui sont en difficultés par rapport à nous, ça a toujours été important. Ma grand-mère était aide-soignante, ma sœur est devenue éducatrice spécialée (ES), ma mère est assistante sociale, certaines de mes tantes sont infirmières…
Au début, je ne savais pas trop où aller mais je ne voulais pas faire ça. C’était un peu ma petite rébellion. Je n’avais pas de très bonnes notes en cours et on m’a proposé de faire un métier de garçon : la menuiserie. Mais, je n’ai pas du tout aimé l’ambiance qu’il y avait et ce n’était pas ce que je recherchais dans un travail. Je voulais me sentir utile mais pas juste en aidant les gens en réparant leur vitre ou quoi. Je voulais aider des gens dans leur vie, leur quotidien, leur intimité.
J’ai voulu passé les concours d’aide-soignant. Je me suis foiré. Manque de connaissances, de maturité…
Avec ma maman, on a cherché ce que je pourrais faire et on a trouvé un service civique. Il se passait à Poitiers au sein d’une association, Handisup Centre-Ouest, qui accompagne les étudiant·e·s en situation de handicap sur le campus. Ça a été une super année pour moi et ça m’a conforté dans mon choix de vouloir accompagner des personnes en situation de handicap.
A la fin de mon service civique, j’ai postulé à l’IRTS* pour une formation d’AES.
3. Quelle formation as-tu suivi ? Qu’en as-tu pensé ?
J’ai donc été pris en formation pour devenir AES, en « contrat pro ». C’est une formation de 18 mois, en alternance*. Par mois, j’ai une semaine de cours et trois semaines de travail à la MAS.
Il existe aussi la formation initiale durant laquelle, tu es en cours la plupart du temps, avec deux stages. C’est plus scolaires.
Mais, les deux parcours forment au même métier.
La formation est super importante. Tout ce qui est nursing, tu l’apprends sur le tas mais sur l’aspect éducatif c’est indispensable. Par exemple, apprendre à communiquer par cryptogramme ou en langage des signes. Mais aussi réfléchir sur ses pratiques professionnelles. Ça t’offre des ressources pour sur le terrain.
4. Comment évaluerais-tu ta formation ? En es-tu satisfait ?
Bon, j’aurais aimé suivre cette formation plus tôt. L’IRTS de Poitiers n’est plus ce qu’il était. Il a de gros problèmes financiers et ça se ressent. Dans les cours, il y a beaucoup moins d’intervenants.
Je m’attendais à plus d’accompagnement. Concernant nos dossiers à rendre, par exemple, on est un peu perdu. Notre formatrice est géniale mais elle a beaucoup trop de choses à gérer. Heureusement, on a de l’aide de la part de nos collègues de travail.
5. Quelles qualités sont nécessaires pour exercer ce métier d’après toi ?
Il faut être un peu fou dans tête ! Oui, oui, un peu fou, parce que tu vas t’occuper de personnes qui n’ont pas un parcours de vie facile. Il faut être un peu fou pour comprendre les autres et leur « folie ». En fait, il faut être empathique, capable de prendre du recul. Mais « être un peu fou dans sa tête », ça décrit bien les travailleurs du social je trouve.
Il faut aussi travailler avec ses émotions. C’est la clef de tout je trouve. On travaille avec des gens en situation de handicap lourd, il faut partager avec eux. Bien sûr, il faut les gérer ses émotions mais c’est important d’être humainement impliqué. Tous les collègues ne sont pas d’accord avec ça, mais c’est ma vision. C’est l’épineuse question de la distance professionnelle.
6. A quoi ressemble une de tes journées « types » ?
Je travaille à la MAS* de T.N.. Une MAS, c’est une Maison d’Accueil Spécialisé et nous, nous sommes spécialisés dans le polyhandicap*. Le polyhandicap est lié à la neuro, en fait c’est souvent un développement du cerveau qui ne s’est pas bien fait et qui a des conséquences sur tout le corps. Ça peut aller des caractéristiques physiques (membres atrophiés, hémiplégie*) aux caractéristiques intellectuelles.
La plus grande journée que l’on peut avoir est de 12h.
D’abord, la personne de nuit nous fait son compte-rendu (« un tel n’a pas dormi », « une telle a fait beaucoup de selles »). On travaille en binôme. Deux pros pour quatre résidents.
Entre 8h et 10h, on s’occupe d’accompagner les résident·e·s dans le lever. Ça consiste principalement en du nursing. Deux heures pour s’occuper de deux résident·e·s chacun, c’est assez. On est bien loti dans ma MAS. Ce n’est pas le cas partout. Dans certaines MAS, ça peut être 10 résident·e·s en 2h.
A 10h, on va sur les unités. Les résident·e·s sont dispatché·e·s dans trois unités où on leur propose des activités. D’abord, on se met tous en cercle et on va se dire « bonjour ». Les résident·e·s font des vocalises (la plupart ne savent pas parler). Ils ont chacun leur signe pour dire bonjour. Le matin d’ailleurs, quand tu les lèves, tu fais aussi des vocalises selon leur code. On sait jamais, si son langage c’est ça, c’est important de le faire. De l’extérieur, on a l’air complètement taré. C’est pour ça que je dis qu’il faut être fou dans ce métier. Il ne faut pas ressentir de gêne à imiter des résident·e·s et d’essayer d’être à leur place.
A ce moment-là, on fait aussi une petite hydratation avec une médication, c’est important pour qu’ils puissent bien éliminer (la digestion est souvent très difficile, notamment parce qu’ils sont toujours en position assise ou allongée).
Après, on va proposer des activités aux résident·e·s. Une personne polyhandicapée n’est capable, en moyenne, que de 20 minutes de concentration par jour. Une activité dure donc 20 à 30 minutes. Mais il faut compter 1 heure pour l’installation, le rangement, etc. Il y a plusieurs activités. Par exemple, comment montrer ses émotions (comment dire que j’ai mal ?). On travaille beaucoup sur le sensoriel et avec des cryptogrammes. Dernièrement, j’ai mis en place un jeu de rôle sur la base de questions fermées (oui ou non). Parfois ça marche, parfois ça marche pas (parce que ce ne sont pas les 20 min de concentration de la journée, parce qu’ils n’ont pas envie…).
Ensuite, a lieu le repas. On nettoie les mains, le visage et après il faut aider à la déglutition. Pour bien digérer, il faut un temps de sieste. Donc, on installe les résident·e·s dans leur chambre. Pendant ce temps, on fait des rondes et on organise aussi les réunions d’équipe.
Le temps de sieste est important aussi parce qu’il faut qu’ils bougent. Ils sont toujours assis dans leur fauteuil et il y a donc un risque d’escarre (c’est de la peau qui se nécrose quand il y a un trop fort appui sur un point). C’est pour ça qu’ils sont allongés, manipulés. C’est important aussi pour stimuler la digestion (parfois pendant les manip, il peut y avoir un pet fulgurant haha).
Après, petit goûter pour les résident·e·s et les pros et enfin activités du soir, plus soft, posé dans la chambre ou petite balade.
A 18h30, on commence à manger pour le soir et vers 20h, on commence les couchers et puis vient la relève de l’équipe du soir.
7. Quelles sont les plus grandes difficultés que tu as pu rencontrer jusqu’à présent ?
Ma plus grande difficulté, ça a été la confrontation avec des personnes vieillissantes. Le cumul du polyhandicap et l’âge est difficile. Avec le temps, le corps se vrille, les cotes sont apparentes, les muscles s’atrophient … C’est très dur à voir pour moi. Ça me renvoie à la fin de vie, la mort.
Pour faire un bon accompagnement avec un des résidents de 50 ans, j’ai pallié la difficulté grâce à la musique. C’était notre point commun à tous les deux. Il écoutait du Prince. Alors je mettais ça en lui demandant s’il était d’accord. Et je chantais (de la merde hein) ! Et ça le faisait rigoler.
8. Quelles sont tes plus grandes réussites et satisfactions ?
Chaque jour, quand je vais travailler, ma plus grande réussite, c’est de me dire : « J’ai fait rigoler un résident ». On en parle pas assez de ça. Quand je suis au travail, je suis content parce que avec deux bouts de ficelle, tu fais de l’exceptionnel. Pour nous, il faudrait un superbe paysage de montagne, alors que pour eux un massage des mains, c’est génial. Ou une blague à la con et c’est parti pour un fou rire de dix minutes ! Ça fait tellement de bien au moral. J’aime mon métier.
C’est émotionnellement difficile de travailler avec des personnes polyhandicapées. Elles sont des éponges à émotions et ça travaille beaucoup. Mais depuis que je travaille avec elles, je suis bien. J’étais très complexé par plein de choses mais maintenant, je suis content d’avoir des jambes et de pouvoir courir. Les personnes polyhandicapées, elles, elles s’en fichent de leur handicap. Ça fait relativiser. Elles rigolent, elles jouent, elles ne sont pas tristes d’être comme ça. Bon, parfois, elles sont tristes parce qu’il n’y avait pas de sucre dans les pâtes.
9. Comment cela se passe-t-il lorsque tu rentres ? Est-ce facile de décrocher d’une journée de travail ?
Tu décroches jamais. Tu es toujours dedans. Quand je suis tout seul, je me fais du bien par le biais d’une activité calme en lisant des livres, en écoutant de la musique. Mais je pense souvent au travail quand même. Le vendredi soir, ça arrive qu’on sorte boire un verre avec les collègues. Bon, la plupart du temps on parle taff mais ça permet d’avancer. Quand je suis avec mon ami·e, je suis moins dans le travail. On va au ciné, on parle, on joue à la console. Des trucs cool quoi. Mais tu ne peux pas vraiment décrocher. Ce n’est pas un travail, tu es avec des gens, ce sont des relations sociales. Il faut aimer faire ça.
10. Comment envisages-tu ton avenir en tant que AES ?
A l’avenir, j’aimerais bien ne pas forcément travailler que dans le polyhandicap. Le rêve, ce serait de faire une maison de refuge où on accepterait tout le monde.
Petit lexique du Social :
Alternance : une formation en alternance comprend une ou plusieurs semaines en cours et plusieurs de travail sous contrat professionnel
AES : Accompagnant Éducatif et Social
ASE : Aide Sociale à l’Enfance, il s’agit d’une politique sociale qui a pour but de protéger les enfants. Celle-ci est mise en place par les départements qui peuvent faire appel à des associations pour remplir cette mission
EPHAD : Etablissment pour personnes âgées dépendantes, qui ne peuvent plus vivre seul·e chez eux
ES : Educateur ou Educatrice Spécialisé·e
Gériatrie : Médecine des personnes âgées
Hémiplégie : Forme particulière de paralysie concentrée sur une seule partie du corps
IRTS : Institut Régional du Travail Social, forme à de nombreux métiers du social (Educateur Spécialisé, AES, veilleur de nuit, etc).
MAS : Maison d’Accueil Spécialisée
Nursing : comprend principalement les soins liés à l’hygiène mais aussi au corps plus généralement, comme les massages par exemples
Polyhandicap : « handicap grave à expressions multiples associant toujours une déficience motrice et une déficience intellectuelle sévère ou profonde, entraînant une restriction extrême de l’autonomie et des possibilités de perception, d’expression et de relation », Onisep