Notre société est censée être basée sur un principe de solidarité (« Sentiment d’un devoir moral envers les autres membres d’un groupe, fondé sur l’identité de situation, d’intérêts », Larousse). Cela suppose que nous prenions soin les uns des autres. Pour des quantités de raisons, quelles soient d’ordre social ou médical, des êtres peuvent avoir besoin d’un accompagnement plus ou moins important. Dans l’ordre actuel des choses, le garant principal de cet accompagnement est l’État. Les solutions sont mises en place par le biais d’institutions adaptées, allant de l’hôpital au bureau d’assistant·e social·e et bien d’autres. Ce sont les services publics, c’est le domaine du Social. Le système repose cependant principalement sur les nombreux corps de métiers qui veillent à prodiguer cet accompagnement. Ce sont les acteurs et actrices du Social. Ce sont des personnes. Leurs actions sont aussi variées que possible mais leur point commun est de venir en aide à celleux qui en ont besoin. Leur rôle est essentiel. Ils sont indispensables. Et pourtant, les métiers du social manquent cruellement de reconnaissance. Alors que leurs conditions de travail sont souvent difficiles, voire précaires dans certains cas, on ne les écoute pas. Celleux à qui ils viennent en aide et eux-même sont relégué·e·s à l’angle mort de notre vision sociale.
Nous n’avons ni le pouvoir, ni la prétention, chez Berthine, de pouvoir trouver les solutions adéquates pour sauver un système social qui semble aller droit dans le mur. Mais nous pouvons écouter. Nous avons choisi de discuter avec de jeunes (et moins jeunes) adultes qui ont choisi d’en faire leur métier. Même s’il y a du chemin à faire, en les rencontrant, nous sommes plein·e·s d’admiration mais aussi d’espoir.
Aujourd’hui, nous discutons avec Océane, 23 ans, éducatrice spécialisée. Elle accompagne des enfants et des adolescent·e·s dans tous les aspects de leur quotidien et veille ainsi à leur sécurité et leur bien-être.
1. En quoi consiste le métier d’éducatrice ou éducateur spécialisé·e ?
Le travail d’éducateur ou éducatrice spécialisé·e consiste à accueillir et à accompagner des personnes en difficultés, allant des enfants aux personnes âgées et dans différents domaines : dans l’insertion*, dans le handicap mais aussi la protection de l’enfance*. Pour ma part, j’interviens en protection de l’enfance actuellement. Nous sommes dans l’éducatif, dès lors que nous sommes dans les apprentissages de la vie. En fonction de l’âge de l’enfant, nous allons pouvoir travailler avec lui sur différents aspects : pour les plus jeunes, le schéma corporel, l’hygiène, par exemple ; pour les plus âgés, le soutien dans les leçons, la rédaction de lettres de motivation pour la recherche d’un stage, etc..
2. Qu’est-ce qui t’a conduit vers ce domaine et ce métier en particulier ?
Hum, on m’a posé cette question-là lors de mon concours d’entrée à l’école [rires]. Il me semble que c’est grâce à différentes rencontres et notamment grâce au parcours professionnel de ma mère. Elle était enseignante et elle a soutenu des enfants qui étaient en difficulté au sein de sa classe. Par la suite, elle a aussi suivi une formation pour devenir aide médico-psychologique*. J’ai découvert le métier d’éducateur ou éducatrice spécialisé·e lors d’une consultation personnelle au sein d’un centre, où au rez-de-chaussée, il y avait effectivement un accueil de jour destiné aux enfants en situation de handicap. Par la suite, je me suis renseignée davantage sur ce métier.
3. Quelle formation as-tu suivi ? En es-tu satisfaite ?
Après mon Bac Littéraire, j’ai tout d’abord fait une prépa au concours du travail social. La prépa a duré six mois. Puis, j’ai passé les concours de moniteurs-éducateurs. Ne les ayant pas obtenu, je me suis lancée dans un DUT « Carrières sociales » avec l’option « Éducation Spécialisée ». Et ces années m’ont vraiment permis d’affiner mes connaissances dans le domaine du Social mais aussi de pouvoir réaliser des stages, ce que je n’avais pas eu l’occasion de faire auparavant. A la fin de ces deux années, j’ai passé les concours d’éducatrice spécialisée et je les ai obtenu. J’ai eu des allègements de formation grâce à mon Bac +2 et je suis directement entrée en deuxième année, à l’IRTS de Poitiers. Je suis aujourd’hui diplômée depuis juin 2019.
Concernant le DUT, j’en suis vraiment satisfaite, excepté la durée des stages qui aurait pu être plus longue. Par rapport à la formation d’éducateur spécialisé, c’est une formation adulte et les recherches sont à faire personnellement. Nous sommes relativement livré·e·s à nous-même, concernant les connaissances à avoir et les auteur·e·s et les ouvrages à maîtriser. Nous sommes étayés par les formateurs pour la rédaction de nos écrits et du mémoire, mais je m’attendais à plus.
4. Quelles qualités sont nécessaires d’après toi pour bien travailler dans ton domaine ?
Je pense qu’il est nécessaire d’être à l’écoute de l’autre, être tolérant·e et patient·e. Je pourrais relever pleins d’autres qualités mais ce sont les trois premières qui me viennent en tête.
5. Comment est organisé le Centre d’Accueil d’Urgence où tu travailles ?
Nous accueillons des enfants qui ont connu des maltraitances, des négligences, voire de l’abandon. Nous intervenons lorsque un signalement ou une information préoccupante est fait, principalement par le biais de l’Éducation Nationale. Nous avons un service extérieur qui va chercher les jeunes au domicile et nous les accueillons au foyer par la suite. Ce sont des jeunes qui peuvent être accueilli·e·s en placement judiciaire, donc suite à une décision du Juge des Enfants s’il s’agit de maltraitances avérées, ou en placement administratif : il s’agit là d’un contrat qui est signé entre les parents, l’Aide Sociale à l’Enfance* (ASE) et la structure d’accueil. Dans le deuxième cas, il s’agit plus d’une forme de collaboration avec les parents.
Les jeunes suivent leur scolarité la semaine et le week-end nous leur proposons des sorties nature, culturelles, ludiques. Nous jouons à des jeux de société, nous réalisons des bons petits plats ensemble, etc. Le foyer de l’enfance ressemble à une grande maison familiale. Chaque enfant a sa chambre. Il y a trois salles de bain. Dans le salon, nous disposons d’un billard, les jeunes adorent y jouer. Nous avons également une salle de jeux, bien fournie.
Les jeunes accueillis ont entre 8 et 18 ans. Nous accueillons les mineurs sur des durées multiples, avec l’accueil d’urgence (une journée, un week-end, un mois, trois mois, six mois, voire un an). Certains enfants restent plus longtemps, car nous manquons de structures d’orientation.
La structure est régie par une cheffe de service. Sept éducateurs et éducatrices spécialisé·e·s travaillent au foyer de l’enfance. Nous sommes une équipe mixte, ce qui est intéressant. Il y a même plus d’hommes que de femmes, ce qui est plutôt rare dans ce genre de structures ! Et cela permet des régulations au sein de l’équipe et une complémentarité. Il y a aussi des maîtres de maison, des veilleurs de nuit et une psychologue.
Nous accueillons huit enfants sur l’internat et nous pouvons suivre jusqu’à six jeunes en suivis extérieurs, c’est-à-dire dans un foyer de jeunes travailleurs, en famille d’accueil, à domicile et cela nous est même arrivé de suivre un jeune en errance. Ce dernier ne voulait pas être accueilli et était donc chez plusieurs copains et dans temps en temps à la rue et nous étions son point de repère.
La structure fait partie du Conseil Départemental. Lorsque nous disposons de financements et de places dans les structures d’orientation, cela nous permet plus de choses : la mise en place de projets pour les jeunes, mais aussi en interne, cela participe au bien-être de la structure, à l’épanouissement des enfants accueillis et des professionnel·le·s qui y travaillent. L’ouverture de la structure sur l’extérieur et la relation avec des partenaires sont très importantes aussi. J’ai pu travailler dans des structures où l’établissement était très centré sur lui-même et cela réduisait les possibilités des enfants et des professionnel·le·s. Ce qui me plaît dans mon travail aujourd’hui, c’est de pouvoir avoir au téléphone dans la même journée des personnes complètement différentes, d’un membre de la famille d’un enfant jusqu’au psychiatre de l’unité psychiatrique pour adolescent·e·s, en passant par le directeur de l’établissement scolaire. On est en lien avec une multitude de personnes et de professionnels et c’est une force pour accompagner au mieux les enfants.
6. A quoi ressemble une de tes journées « types » ?
Alors, nous travaillons soit du matin, soit de l’après-midi. Une journée commence par les transmissions avec le veilleur de nuit, le réveil des enfants, le petit-déjeuner, puis nous accompagnons les enfants à l’école ou alors ils y vont seul·e·s si l’école est à proximité du foyer. Par la suite, dans le cas où tous les enfants sont scolarisés, nous avons différents rendez-vous le matin : des rendez-vous médicaux, des rendez-vous avec les enseignant·e·s, les psychologues, les professionnels des activités extra-scolaires… Différents rendez-vous en somme, puisque nous accompagnons l’enfant dans sa globalité. Lorsque nous sommes référent·e d’un·e jeune, nous sommes véritablement responsable de lui ou d’elle et de ce qu’il y a tout autour. Nous sommes le premier interlocuteur du jeune et de sa famille. Nous mettons donc en place les temps de visites avec sa famille et tous les autres rendez-vous dont on a parlé.
Le midi, nous pouvons accueillir des jeunes qui ne sont pas en capacité de manger au self à cause de leur comportement. Dans l’après-midi, nous avons un temps de transmissions avec les collègues qui vont faire la soirée. Puis, les enfants rentrent. C’est le moment des leçons et des douches. Par la suite a lieu le dîner et les couchers échelonnés en fonction de l’âge des enfants.
Lorsque c’est le week-end, nous proposons aux enfants diverses sorties. Les enfants peuvent bénéficier aussi de droits de visite et d’hébergement au domicile de leurs parents. Les mercredis après-midis permettent d’aller voir leurs familles dans un espace encadré avec un·e éducateur ou éducatrice et/ou un·e psychologue.
Nous rédigeons aussi des écrits concernant les enfants. Nous pouvons être amené·e·s à rédiger des notes d’observation et des bilans adressés à l’Aide Sociale à l’Enfance, mais aussi au Juge des Enfants*.
7. Quelles sont les plus grandes difficultés que tu as pu rencontrer jusqu’à présent ?
J’ai travaillé avec des enfants et des adolescent·e·s qui avaient des troubles du comportement dans une structure implantée au nord d’Angers. C’était pour moi assez difficile parce que les troubles de ces derniers demandaient une grande disponibilité physique et psychique. Il y avait beaucoup de violence puisque les treize enfants étaient tous réuni·e·s dans le même établissement. Les troubles du comportement et les maladies psychiques de chacun pouvaient s’entrechoquer et généraient donc beaucoup d’agitation et de violence entre jeunes et sur les professionnels. C’était compliqué pour moi de travailler dans ces conditions. Il aurait été intéressant de penser à des maisons diffuses pour accueillir les jeunes par petits groupes et avec plus de professionnels. Aujourd’hui, dans la structure où je travaille, nous pouvons accueillir des enfants qui ont des troubles du comportement mais ce sont des cas singuliers. Le fait également que je sois jeune, cela renvoie une image aux parents qui peuvent être amenés à penser : « Qu’est-ce que cette professionnelle a à nous dire, a à nous conseiller alors qu’elle-même n’a pas d’enfant et qu’elle est si jeune ? ». C’est vrai que je me suis souvent remise en question par rapport à cela mais je pense qu’il s’agit vraiment d’une posture professionnelle à prendre auprès des parents, et non plus le physique et l’âge qu’on peut renvoyer.
8. Quelles sont tes plus grandes réussites et satisfactions ?
Je trouve que la satisfaction, on la ressent chaque jour quand on passe des moments de bonheur, de joie avec les enfants. Des moments de partage, que ce soit avec les enfants mais également avec leur famille, lorsqu’on assiste à des retrouvailles chaleureuses. Mais aussi quand on constate une évolution positive au sein de la famille et que les droits s’élargissent avec leur famille ou qu’un retour au domicile est possible. Toutes ces choses sont vraiment importantes. Ce sont aussi des choses impalpables, un sourire, un échange. L’entente avec les collègues permet également d’être épanoui·e dans son travail au quotidien. La dynamique d’équipe est très importante. Il y a du positif et de beaux moments à vivre chaque jour dans ce travail.
9. Comment cela se passe-t-il lorsque tu rentres ? Est-ce facile de décrocher d’une journée de travail ?
Je travaille sur deux structures. Pour rentrer chez moi, j’ai trente minutes de route à faire à partir d’une structure, et cinq minutes pour l’autre. Souvent, les pensées sont encore consacrées au travail mais la voiture représente vraiment un sas. Pour ma part, j’ai souvent tendance à me remémorer les pratiques professionnelles que j’ai eu, la journée et ce que j’ai bien fait et ce que j’aurais pu faire mieux. J’arrive mieux à me questionner et à passer à autre chose, lorsque j’ai les trente minutes de route. Quand je travaille à proximité, il n’y a pas ce temps-là et lorsqu’il y a des situations compliquées, je suis amenée à y repenser, parce qu’on travaille avec des personnes humaines et que ça nous travaille nous aussi à l’intérieur. J’éprouve alors le besoin d’en parler avec mes proches ou mes ami·e·s que je reçois ou par le biais du téléphone. Puis, je vaque à mes occupations personnelles.
10. Comment envisages-tu ton avenir en tant qu’éducatrice spécialisée ?
J’aimerais pouvoir continuer à travailler dans les structures où je suis actuellement, parce que j’aime beaucoup cet équilibre de pouvoir intervenir dans deux lieux, de pouvoir avoir des pratiques professionnelles différentes et également rencontrer et travailler avec des collègues et des jeunes différents. Cet échange de savoirs et compétences est vraiment intéressant pour moi qui suis jeune professionnelle. J’aimerai également accompagné des jeunes migrants et des personnes en situation d’addictions. Par la suite, j’aimerai pouvoir me reformer. Je pense notamment à deux pistes. Peut-être psychologue si les années d’études sont réduites grâce à mes années d’expériences et intervenir de nouveau en protection de l’enfance. Et si j’ai l’occasion de passer le Caferuis pour devenir cheffe de service, j’aimerais intervenir dans le domaine du handicap. Il y a pleins de possibilités !
Petit Lexique du Social :
Aide Médico-Psychologique (AMP): l’AMP accompagne et aide des personnes dans les actes de la vie quotidienne, en prodiguant des soins de bien-être et d’hygiène. Ce poste est aujourd’hui remplacé par les AES (Accompagnant Éducatif et Social)
Aide Sociale à l’Enfance (ASE) : Aide Sociale à l’Enfance, il s’agit d’une politique sociale qui a pour but de protéger les enfants. Celle-ci est mise en place par les départements qui peuvent faire appel à des associations pour remplir cette mission
Insertion : action ayant pour objectif d’intégrer une personne isolée ou marginalisée (pour diverses raisons) dans un environnement social (scolaire, professionnel, culturel…)
Juge des enfants : ce juge est spécialisé dans les affaires de mineurs en matière civile (mineurs en danger) comme en matière pénale (mineurs délinquants). Il prend des mesures d’assistance et de protection à l’égard des mineurs jusqu’à 18 ans.
Protection de l’enfance : « La protection de l’enfance vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation. », Ministère des Solidarités et de la Santé
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