Le pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle est mené par les fidèles (en premier lieu) depuis le Moyen-Age, qui se rendent sur la tombe de l’un des douze apôtres de Jésus. Le périple est très dangereux (Guerres, banditisme, etc). Tombé quelque peu en désuétude pendant plusieurs dizaines d’années (voire siècles), les chemins de Compostelle sont aujourd’hui de nouveau grandement fréquentés par les croyants mais pas seulement. De plus en plus de gens l’entreprennent pour le défi et le voyage hors du temps qu’il représente mais aussi pour se retrouver. C’est le cas de mon amie Jéhanne qui en revient tout juste.
1. Salut Jéhanne, pourrais-tu te présenter à nos lecteurs ?
Alors, je m’appelle Jéhanne, j’ai 22 ans et je viens de Bordeaux où j’ai été étudiante. Je suis partie sur le chemin de Compostelle cet été, parce que j’en rêvais. Et là j’en ressentais le besoin, un peu comme un appel. Ça faisait longtemps que j’y pensais.
2. Combien de temps le pèlerinage t’a-t-il pris et d’où es-tu partie ?
33 jours. Je suis partie de Saint-Jean-Pied-de-Port, c’est derrière la frontière espagnole. Le plan à la base, c’était de partir de Bordeaux, donc de chez moi, mais ça aurait été trop long et trop cher.
3. Pour quelles raisons as-tu décidé d’entreprendre ce périple ?
J’en avais déjà entendu parlé, parce que j’ai des amis de mes parents qui avaient déjà fait le chemin, et il en ont écrit un livre, un compte-rendu que j’ai lu plusieurs fois. Mon père en avait souvent parlé comme un rêve. Ça fait donc longtemps que ça tourne un peu et c’était un peu quelque chose que je voulais ajouter sur une to-do list, à faire un jour dans ma vie. Et après mes études d’architecture, qui ont été un peu compliquées au niveau personnel, psychologique, après deux ans, je ressentais le besoin de faire quelque chose pour moi et d’arrêter de repousser les choses comme ça, qu’on dit qu’on va faire un jour dans notre vie. J’ai commencé à relire des articles, des guides… Et en décembre j’ai acheté ma Crédentiale. Je me suis dit, maintenant je l’ai et c’était le premier pas. Je me suis dit que maintenant j’y allais. Si je ne l’avais acheté, je pense que j’aurais encore repoussé à l’année d’après.
4. Comment t’es-tu préparée ? (guides, préparation physique, carnet du pèlerin…)
Il y a différentes préparations. Physique, j’aurais voulu faire plus mais mon entraînement a été assez réduit finalement ! J’ai juste acheté mes chaussures un mois avant et je les ai mise tous les jours pour les faire un peu. J’ai été voir le podologue à de nombreuses reprises pour un suivi un peu de santé et de marche. J’ai été faire une fois une marche de 25km avec mes chaussures mais sans mon sac, ce qui a été une erreur ! Mais c’est à peu près tout l’entraînement physique que j’ai fait. En fait quand j’étais sur le chemin et que j’en parlais à d’autres gens, eux aussi me disaient qu’ils ne s’étaient pas particulièrement entraînés pour la plupart. Je ne suis donc pas sûre que ce soit vraiment nécessaire. Par contre, il y a une vrai préparation logistique. J’ai passé un mois à organiser mon sac. Dans le sens où il fallait tout peser et tout réfléchir, voir dans quelle poche je mets ça, est-ce que cet objet est indispensable ? Tout ça a été très long. Sur les derniers jours, j’ai l’impression d’avoir vécu un peu une préparation psychologique. J’ai relu le livre des amis de mes parents, le livre d’un autre type, plein d’articles, un peu en me disant il faut être prête à tout et je veux savoir le plus possible avant de partir. Je ne sais pas si c’était vraiment une bonne idée mais bon.
5. « Dans mon sac à dos j’ai… » (il était lourd comment ton sac d’ailleurs ? )
Pour une femme normalement tu dois porter 10 % de ton poids, ce qui ne fait vraiment pas grand-chose quand tu pèses 50kg ! Donc, j’étais très limité. C’est notamment pour ça que niveau logistique c’était très compliqué. Quand je suis partie il faisait 6,8kg et je pense qu’il a un peu augmenté au fur et à mesure, mais pas beaucoup. Il y avait un sac de couchage dont je ne sais pas si je le reprendrais si je devais repartir parce que les nuits où il m’a servi j’étais très contente mais sinon il n’a pas beaucoup servi. J’avais un drap de soie, dans les nuits normales tu prends ça parce que dans les auberges il n’y a pas de drap. J’avais aussi une tenue complète sur moi composée d’un t-shirt, un short, une culotte, une brassière, des chaussettes et une de rechange dans mon sac avec un legging. Une tenue de pluie aussi mais je ne sais pas non plus si je la reprendrais ou pas. Sinon j’avais mes chaussures de marche sur moi, un chapeau, une gourde, j’ai acheté un camelbag* sur le chemin, un ptit carnet, un guide dont j’avais enlevé les pages qui ne m’intéressaient pas pour enlever du poids, une carte pas très précise au cas où je me perdrais, des ptites épingles à linge pour accrocher mon linge sur mon sac si jamais il était encore mouillée quand je marchais, une trousse de toilettes, une trousse de secours, des sandales, un verre et des couverts qui ne m’ont absolument jamais servi, et alors le plus lourd, le milliard de crèmes dont tu as besoin pour survivre : crème pour les pieds, pour les courbatures, solaires, contre les moustiques… Et probablement d’autres choses ! (pdf du matériel dispo huhu)
6. Le grand jour ! Comment te sens-tu ? Comment ça se passe ?
L’angoisse ! Je suis de nature un peu stressée aussi. Je suis partie en train de Bordeaux pour Biarritz et de Biarritz je prenais un train pour Saint-Jean-Pied-de-Port. Je ne savais pas où j’allais. « Mon Dieu qu’est-ce que je fais? », je me disais. J’avais pas d’auberge réservée mais j’avais imprimé toute la carte bien détaillée de l’étape de la nuit d’après. Dans le bus, j’ai appelé ma mère pour qu’elle réserve à la dernière minute un lit pour moi ! J’écoutais de la musique dans le train et j’avais l’impression que toutes les paroles, peu importe le style de la musique, me disaient de rentrer chez moi !
7. Une fois sur la route, à quoi ressemble une journée de pèlerinage ?
En général, je me levais à 5h. Normalement, t’as déjà un peu préparer ton sac la veille. Tu remballes les dernières choses. Moi je mangeais une barre de céréales et parfois un écart avec un vrai petit déj’ à l’auberge qu’il faut payer. Tu fais ta mini toilette, tu vas aux toilettes ! Après, tu commences à marcher. C’est difficile de faire une moyenne mais en général, tu marches jusqu’à 14h. Sur le chemin, tu rencontres des gens, tu fais des petites pauses pour grignoter, boire ou autre. Parfois, il y des choses à voir aussi, une église à visiter, une rivière où tu peux te baigner. Puis, tu arrives à l’auberge et tout pleins de petits rituels commencent. Tous les jours les mêmes ! La première chose que tu fais, tu vas prendre une douche. Parce que ensuite, tu mets tes nouveaux vêtements et du coup tu dois laver tes vêtements sales pour les mettre le lendemain et il faut qu’ils aient le temps de sécher. Après, je faisais une sieste en général. Jusqu’à 17h en Espagne c’est la Siesta donc tout est fermé et tu n’as pas d’espoir de manger avant ! Vers 17h tu sors pour aller manger au restaurant ou pour t’acheter des trucs à cuisiner. Après ça, je prenais toujours un petit temps pour prendre des notes, monter les vidéos que je faisais tous les jours et appeler des gens. Le temps passe assez vite au final. Il y a aussi plein de gens dans les auberges donc tu peux aussi passer du temps à parler, faire des jeux, boire un peu de vin. Passer une bonne soirée quoi. Je me couchais vers 21h . Avant de se coucher il faut donc préparer son sac et faire tous les soins « médicaux » = s’occuper des ampoules, des courbatures, prendre les anti-inflammatoire !
8. L’un de tes meilleurs souvenirs ? L’un des pires ?
Il y a plein de différents pires jours et meilleurs jours ! Ça joue sur plein de plans différents. C’est très difficile de choisir !
Sur le plan physique, le pire moment, c’était une journée où j’ai eu extrêmement mal aux hanches. Ça m’a complètement arrêtée dans ma marche. J’étais vraiment déroutée parce que je ne savais pas quoi faire pour arranger la situation. J’étais en plein milieu de nulle part, le dernier village que je venais de passer était à 5km et encore mon seul espoir était une pharmacie. Sinon, il me restait 10km pour voir un médecin où quelque chose. Et je ne savais pas ce qu’il pourrait me dire, s’il fallait que je rentre en France, est-ce que ce n’est pas grave, très grave ? C’était vraiment difficile, la douleur d’une, mais surtout de ne pas savoir quoi faire contre la douleur. C’était au début en plus. Je ne connaissais pas du tout cette douleur, je n’avais jamais eu mal aux hanches de ma vie ! Sur le chemin, je boitais, donc les gens me demandaient si ça allait. Je disais que oui parce que de toute façon ils ne pouvaient pas vraiment faire quelque chose. Puis, je suis arrivée à un endroit où un monsieur vendait des fruits et des choses comme ça sur un petit stand. Il avait installé des hamacs autour et je lui ai demandé si je pouvais faire une sieste. En me réveillant, ça n’allait pas mieux, j’étais en larmes. En fait ce monsieur était thérapeute, ce qui tombait bien. Il m’a fait allonger et il m’a fait faire des étirements, des massages. Il m’a donné plein de conseils sur comment réagir à ce genre de douleurs. Ce qui m’a le plus aider.
Au niveau psychologique, il y eu un jour où dès le début j’ai senti que ça allait être nul. Physiquement, tout allait bien mais je n’avais aucune motivation. Il n’y avait rien, pas de beau paysage, juste le long de la route et sur 17km. On nous avait prévenu que ce tronçon serait long. Mais qu’est-ce que c’est long 17km ! Ça représente 4h de marche. A la base, je devais faire 25km ce jour mais finalement au bout des 17km, à 11h, il était tôt, je me suis arrêtée à la première auberge et j’ai dormi toute la journée. Pas pour reposer mon corps mais ma tête.
Des meilleurs moments, il y en a eu pleins aussi… C’est difficile. Mais un moment très spécial plus que meilleur, je ne veux pas mettre de hiérarchie. C’était vers la fin, on comptait marcher une certaine étape, une fille et moi. Sur le chemin on était passé prêt d’une maison où un monsieur faisait une exposition d’aquarelles. On était sorties de là un peu chamboulées, inspirées de cette rencontre. Ensuite, un monsieur qui avait ouvert sa cour où il servait à boire et des tartines aux pèlerins. Il avait pleins de sculptures avec pleins de symboles, avec des pierres. Pareil très inspirant comme découverte. Et ce dernier monsieur nous a conseillé de nous arrêter à une auberge à 2km, très spéciale. Ce n’était pas vraiment notre plan de s’arrêter si vite mais il nous a dit de prendre le temps et de profiter de la fin du chemin. On s’est donc arrêter dans cette auberge. Et en effet, ça a été un des seuls moments de spiritualité que j’ai eu l’impression de ressentir. L’énergie, l’atmosphère était très particulière qui ressourçait. Après tout ce que j’avais vécu, arriver dans cet endroit… C’était chez un monsieur qui faisait de l’art minéral. Tu vois ce que c’est ? Il réduit plusieurs sortes de pierre en petits grains qu’il assemble un peu comme des mosaïques et il faisait de très grand tableaux avec. Toute sa maison en était remplie. Il avait une espèce de croyance autour des pierres. Il vivait de manière un peu autonome, avec un énorme jardin et des techniques un peu bio. Ce n’était pas vraiment une auberge mais il accueillait les gens et on donne ce qu’on veut en partant. On est arrivé hyper tôt, vers 10h, et on est reparties que le lendemain. C’était super agréable comme journée, tu prends le temps de vivre. On a passé peut-être 4h à faire du houmous parce qu’on a enlevé chaque petite peau de chaque pois chiche mais il n’y avait pas de soucis parce qu’on avait le temps ! Hors de tout.
9. Comment s’est déroulé ton arrivée ? Grand soulagement ?
Évidemment c’est beaucoup d’émotions. Il faut imaginer que c’est une ville, qui voit toute l’année des gens arriver dans des états ! Physiquement comme psychologiquement ! Voir ces vagues de personnes tous les jours, ça crée une drôle d’ambiance.Chacun a vécu des choses très fortes. C’est fou comme moment. En me baladant dans Compostelle, j’ai retrouvé des gens que j’avais rencontrés sur le chemin et on est content d’y être arriver, pas ensemble, mais d’être arriver et que tout le monde peut le faire.
D’abord j’ai traversé une zone industrielle et puis en arrivant dans le centre historique je suis tombée par hasard sur une femme québécoise, qui le jour où j’avais ce problème aux hanches, m’a dit : « Je marche avec toi, à coté ou derrière, on n’est pas obligées de parler mais si tu as un problème je suis là ». Elle, elle avait mal au genou. Après ça allait mieux pour moi et comme on ne marchait plus au même rythme on s’est séparées. Je ne pensais pas qu’on arriverait en même temps et finalement elle était arrivée le même jour que moi. Quelque part c’est grâce à elle que j’ai continué. C’était très fort de la retrouver.
10. Comment te sens-tu maintenant après toutes ces aventures ? Super force musculaire ? Révélations ?
Physiquement, j’aimerais bien dire que je me suis musclée mais non pas vraiment. J’ai juste les pieds défoncés [c’est vrai qu’ils ne sont pas très beaux à voir!]. Sinon, plus au niveau du changement de vie… Pendant tout le chemin, tu réalises pleins de choses sur toi. Les premiers jours j’écrivais une leçon de vie que j’avais l’impression d’avoir apprise dans la journée (« prendre plus confiance en soi », « accepter de perdre le contrôle » ce genre de choses débiles). Les choses ont fait que j’ai arrêté mais c’est symbolique de ce que je voulais. Je voulais apprendre plein de choses sur moi, sur la vie. Je voulais en faire des mantras. Mais ça ne fonctionne pas comme ça.
J’aimerais appliquer ça dans ma vie de tous les jours mais en même temps l’expérience de Compostelle est très éloignée de l’expérience de la vie de tous les jours. Ce n’est pas le même rythme, la même ambition… Mais dans tous les cas, je sens qu’aujourd’hui je peux me rassurer facilement. J’ai réussi à marcher 800km sans encombre donc je dois bien pouvoir réussir autre chose. Et ça apprend à relativiser. Dans le sens où sur le chemin à chaque fois qu’il t’arrive un truc vraiment compliqué, une grosse douleur, t’es pas bien ou n’importe quoi, il y a toujours quelque chose qui vient après pour relativiser ça. Ça m’a fait vraiment mal de monter cette cote, j’ai souffert le martyr mais en haut t’as un super beau paysage. C’est un peu à l’image de la vie. C’est ça que j’aimerais garder. Peu importe ce qui peut se passer, il y aura sûrement quelque chose de très bien après. Il faut être patient.
Mes parents qui sont très religieux avaient espoir qu’en faisant Compostelle j’aurais une Révélation, ce qui n’a pas été le cas malheureusement pour eux ! En venant me chercher à Compostelle, ils m’ont demandé : « Alors, tu crois en Dieu ? ». Mais en y réfléchissant plus tard, je me suis dit que je ne pense pas que je crois en Dieu mais grâce à Compostelle, ça fait un peu bête, mais je crois plus en la vie, j’ai plus confiance. C’est pas une question de croire au hasard ou au destin mais parfois il faut laisser les choses un peu se faire. La vie c’est long donc il y a plein de choses qui peuvent arriver.