L’autisme est un handicap dont le nom fait écho pour la plupart d’entre nous. Au-delà de l’utilisation encore malheureusement courante du terme « autiste » de façon péjorative – nous en trouvons des émanations encore régulièrement dans les débats politiques – la situation pour les personnes avec autisme et leur famille est très compliquée.
Balade lugubre dans la vie d’une famille d’un enfant avec autisme
Lorsque les parents constatent des comportements spécifiques ou des difficultés chez leur enfant – le dépistage se fait à partir de 18 mois – ils cherchent à comprendre la situation et à pouvoir poser un diagnostic sur ce handicap. La plupart du temps, les médecins consultés rendent à cette étape un diagnostic erroné, et ce, pour plusieurs raisons : une méconnaissance de l’autisme par la plupart des professionnels de santé généralistes, une position française outrancièrement psychanalytique sur la question de l’autisme, qui fait de ce handicap un trouble affectif lié à des parents trop « frigides », ou encore une volonté de ne pas révéler l’autisme pour ne pas pousser les parents à ne pas renforcer le handicap de l’enfant de manière implicite.
Alors, soit les parents, rassurés, suivent les recommandations du corps médical, soit ils décident de creuser plus loin, d’aller voir d’autres professionnels,.
Dans le premier cas, ce seront plusieurs mois, années qui retarderont d’autant plus le diagnostic pour l’enfant.
Dans le deuxième cas, les parents vont consulter un spécialiste dans un des nombreux centres pratiquant des dépistages précoces, de doux acronymes institutionnels qui n’en finissent plus : CAMSP, CMP, CREA, CMPP … Parmi ces centres la plupart étaient jusque récemment d’obédience psychanalytique, alors même que la haute autorité de Santé concluait en 2012 que :
« l’absence de données sur leur efficacité et la divergence des avis exprimés ne permettent pas de conclure à la pertinence des interventions fondées sur :
● les approches psychanalytiques ;
● la psychothérapie institutionnelle. »
Dans ces centres, un diagnostic d’autisme sera souvent posé à raison. Cependant, la méthode de prise en charge et d’intervention, non recommandées, ont pour conséquence le fait que l’enfant ne réalise pas de progrès pendant encore quelques années. Plusieurs parents d’enfants avec autisme témoignent de menaces de se voir retirer la garde de leur enfant de la part des équipes pluridisciplinaires, parce que les parents voulaient changer de méthode de prise en charge pour leur enfant.
Depuis quelques années cependant, il faut noter une amélioration du diagnostic des enfants avec autisme grâce aux Centre Ressources Autisme qui ont entrepris la démarche de former du personnel spécialisé dans le diagnostic de l’autisme. Cependant ces centres sont victimes de leur succès, et les listes d’attente peuvent être de plusieurs années avant l’obtention du diagnostic.
Une fois le diagnostic d’autisme posé, il est alors temps pour les parents d’entreprendre des démarches auprès de la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) afin que leur enfant soit reconnu en situation de handicap, et qu’il puisse bénéficier d’un accompagnement et d’une prise en charge adaptés à ses besoins. En effet, c’est la MDPH qui décide de l’orientation de l’enfant et des établissements dans lesquels il peut aller, mais aussi de l’allocation versée aux parents pour les frais supplémentaires inhérents aux accompagnements. De ce fait, les parents ne peuvent pas entamer de démarches tant que la MDPH n’a pas rendu sa décision et restent encore sans réponse institutionnelle.
Pour les parents donc, et surtout pour l’enfant, ce sont encore 4 mois d’attente – délai de réponse que la loi a fixé à la MDPH – où il n’est pas pris en charge.
La décision enfin obtenue, les parents envoient les demandes auprès des établissements désignés. Là encore, c’est la désillusion. En effet, beaucoup d’établissements sont saturés de demandes et ne peuvent plus accueillir de nouveaux enfants. Les listes d’attente peuvent s’élever à plusieurs années, ou pire, l’établissement n’est pas spécialisé dans l’autisme et ne peut donc pas recevoir l’enfant.
Les parents ont alors le choix de créer la prise en charge de leur enfant eux-mêmes : en allant voir des spécialistes (pour beaucoup non remboursés) en libéral, en faisant l’école à la maison, ce qui induit qu’un des deux parents est dans l’obligation d’arrêter de travailler. Certaines autres familles décident d’envoyer leurs enfants dans des centres en Belgique, qui ne sont pas saturés, et même remboursés par la sécurité sociale française. Cette solution permet d’offrir une prise en charge palliative à l’offre française, mais éloigne les familles de leurs enfants.
Alors, certaines familles, décidées à ce que ce scandale pour leurs enfants cessent décident d’agir en justice pour obtenir réparation des préjudices qu’elles ont subi : en effet, non seulement l’article L.131-1 du Code de l’éducation impose à l’Etat comme à la famille que les enfants soient scolarisés de 6 à 16 ans. Or, dans le parcours d’un enfant avec autisme, celui-ci pourrait ne pas être scolarisé dans aucune sorte de structure pendant plusieurs années. Mais les familles disposent également d’un moyen qui se révèle efficace en justice : l’article L.246-1 du Code de l’Action Sociale et des Familles qui dispose que toute personne avec autisme doit être prise en charge de manière pluridisciplinaire tout au long de sa vie par l’Etat. Les tribunaux ont ainsi, depuis ces dernières années, régulièrement condamné l’Etat pour défaut de prise en charge adaptée aux besoins des enfants avec autisme, et indemnisé les familles pour les différents préjudices subis : financiers, moraux etc …
Lorsque l’on vit dans ce milieu, on entend régulièrement qu’entre la prégnance de la psychanalyse dans les milieux institutionnels, les difficultés pour l’Etat de prendre en compte l’augmentation considérable du nombre de personnes diagnostiquées avec autisme et donc de créer une offre adaptée, et les longueurs administratives, la France a 40 ans de retard sur d’autres pays comme la Belgique, les Etats Unis, où les enfants sont pris en charge très tôt (l’autisme peut être diagnostiqué dès 18 mois. En France, il l’est en moyenne à 5/6 ans …),et où les progrès de ceux-ci sont significatifs. Les enfants ne sont pas parqués dans des institutions spécialisées, renforçant le stigmate « handicap », mais intégrés dans des classes ordinaires, et accompagnés par un deuxième enseignant par exemple. Les méthodes de prises en charge sont nombreuses et variées. Elles existent.
Mais la France cependant, a décidé de s’endormir quelques dizaines d’années plus tôt. Quand va-t-elle se réveiller ?
Cet article a été écrit par Sara, juriste de formation (d’où le style dit-elle), gourmette qui n’aime pas trop les choux mais admire les vers de Shakespeare, entre autres.