Billet d’humeur après la lecture d’un post Instagram
L’autre jour, j’étais sur Instagram et je suis tombée sur cette publication plutôt « pute à clic » d’un premier coup d’œil : « Le capitalisme vegan veut-il vraiment sauver les animaux ? » Curieuse, j’ai lu le post en entier et ma première impression fut plutôt positive. Tout d’abord, le post était écrit par une végane, il ne s’agissait donc pas d’un post anti-véganisme comme on peut en voir régulièrement chez les « écolos » sur les réseaux sociaux. Deuxièmement, le contenu m’a paru juste : les grosses entreprises profitent de la vague de végétalisation de l’alimentation en Occident pour proposer de plus en plus de produits végétaux, ils répondent à une demande de marché pour s’en foutre plein les poches. Ici, rien de nouveau sous le soleil. Enfin, évidemment, l’appartenance desdits produits à des multinationales cotées en bourse (comme les yaourts Alpro chez Danone, premier producteur de produits laitiers), pose un grave problème éthique. Je vous mets le post en entier ci-dessous.
Je me suis empressée de partager le post. À titre personnel, j’essaye d’être sur tous les fronts, de manger le moins possible des produits transformés, de ne pas faire mes courses en supermarché et donc de privilégier au maximum les circuits courts, l’agriculture biologique et surtout de boycotter les grosses marques. Je ne peux donc qu’être en accord avec ce post, un véganisme anticapitaliste, c’est génial !
Et pourtant, après une nuit de sommeil, le contenu me trottait encore dans la tête. Quelque chose me dérangeait, je n’arrivais pas précisément à mettre le doigt dessus.
Je me suis d’abord dit que peut-être je me sentais personnellement visée car dans les marques citées il y a des produits que j’achète régulièrement : Tartex notamment pour ses fromages végétaux bios mais aussi Bonneterre qui proposent des dizaines de tartinades vegans, très pratique pour les pique-niques ou les apéros sur le pouce.
Mais ce n’était pas ça, parce qu’il s’agit là encore de marques quasiment inconnues du grand public. Et à force de cogiter, j’ai compris.
Les vegans, la cible préférée de ceux qui ne font rien
La première réflexion qui s’est dessinée dans mon esprit c’est que ce post allait encore servir des personnes de gauche anticapitalistes (la gauche merguez ♥) qui adorent s’en prendre régulièrement aux vegans « ces grands bourgeois qui ne comprennent rien à la vraie lutte ».
Je ne m’étendrai pas très longuement sur l’origine sociale des personnes véganes mais il existe un réel fantasme dans l’idée que changer son alimentation serait réservé aux personnes blanches et riches.
D’après OpinionWay, en France :
« 2% des personnes interrogées dont le foyer enregistre des revenus supérieurs à 2000€ mensuels se déclarent végétariens, contre 4% dans les foyers inférieurs à ce montant »
https://www.terraeco.net/Sondage-qui-sont-les-vegetariens,64594.html
Dans tous les cas, le véganisme est sans l’ombre d’un doute entièrement relié à l’anticapitalisme. Le boycott d’une industrie est un acte qui s’inscrit pleinement dans la lutte anticapitaliste. Le boycott de l’industrie de la viande (notamment celle de l’abattage) qui exploite et décime des vies animales et humaines s’inscrit donc lui aussi dans cette lutte. Oui humaines également, car le travail en abattoir est d’une pénibilité atroce, comme on peut le lire dans Steak Machine.
« Une vache abattue chaque minute. Ce rythme absurde engendre, entre mille joyeusetés, la maltraitance animale. Et humaine. Les deux sont indissociables. Chez Mercure, les chefs ne tolèrent pas les arrêts maladie trop fréquents et contestent le moindre accident de travail. Peu d’ouvriers franchissent la cinquantaine en bonne santé. »
Geoffrey Le Guilcher, Steak Machine, Éditions Gouttes d’Or, 2017, p.15
Le véganisme est un choix social radical. Continuer à ignorer que consommer des produits animaux, c’est soutenir une industrie capitaliste (Cargill, leader mondial de la nourriture à destination des animaux d’élevage a réalisé un chiffre d’affaire de 113,5 milliards USD en 2019) violente autant pour les animaux que pour les travailleurs et les travailleuses.
Je m’égare du post Instagram initial, mais j’y reviens tout de suite. Le nombre de personnes, véganes ou omnivores, qui boycotte les marques de l’industrie agro-alimentaire est dérisoire. C’est compréhensible, il n’y a aucune information accessible facilement aux consommateurs et consommatrices, il est donc très difficile d’éviter à 100% des produits issus d’entreprises cotées en bourse par exemple. C’est pourquoi, les critiques qui émergent de non-vegan accusant les vegan d’être des suppôts du capitalisme quand ces derniers ont acheté un yaourt Andros me hérissent les poils car évidemment la majorité du temps, il suffit de s’attarder sur leur consommation alimentaire pour voir qu’eux-mêmes donnent de l’argent en masse à des entreprises inhumaines, notamment via leur consommation de produits animaux.
Le véganisme anticapitaliste un privilège de classe ?
Le véganisme est évidemment politique mais il s’agit tout d’abord à mon sens, d’un combat politique mené pour les animaux avant d’être mené pour les êtres humains. Le fait que le véganisme soit intersectionnel avec le combat écologiste (la diminution des gaz à effet de serre) le combat humaniste (la protection des travailleurs et travailleuses des abattoirs par exemple) et le combat anticapitaliste (le boycott de multinationales de la viande) est un bienfait collatéral.
Les animaux sont, pour les antispécistes, reconnus comme des individus et chaque fois qu’une personne décide d’acheter de la nourriture sans produits d’origine animale, c’est une victoire. C’est une diminution de la souffrance animale qu’il s’agisse d’un yaourt Andros ou d’un yaourt de soja français. Et dans les deux cas c’est un combat qui est sur une bonne dynamique, il ne s’agit pas seulement d’un petit pas individuel, le monde change. Regardez vous-même chez nous : la consommation de viande en France a reculé de 12% en 10 ans !
En 2007, les Français mangeaient en moyenne 153 grammes de produits carnés par jour, contre 135 grammes en 2016, soit 18 grammes de moins en dix ans.
https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/09/06/la-consommation-de-viande-en-france-recule-depuis-dix-ans_5350897_3244.html
Vous voyez sûrement où je veux en venir à propos de ce post Instagram. Si aujourd’hui les alternatives végétales envahissent les supermarchés, qu’il est plus que rare de trouver des restaurants qui ne proposent pas au moins une option végétarienne, c’est qu’il y a une réelle demande sur le marché. Aujourd’hui, plus besoin de vivre dans une grande ville pour adopter un régime vegan et ça c’est aussi une victoire. C’est ce que le post Instagram ne met pas assez en avant à mon sens car la France ce n’est pas que les grandes villes ! Il existe des déserts ruraux dans lesquels on ne trouvera malheureusement pas de Biocoop où acheter un tofu d’une marque française et éthique.
En outre, le fait que les offres végétales envahissent les supermarchés permet à des personnes qui n’ont pas les informations auxquelles nous avons nous accès en tant que privilégié·e·s de pouvoir simplement tester d’autres produits, par hasard, par curiosité et d’y adhérer. Je me faisais moi-même la remarque à Intermarché l’autre jour (il m’arrive d’aller au supermarché, fouettez-moi !), le rayon yaourts a désormais une étagère entière consacrée aux yaourts végétaux. Oui, il s’agit pour la plupart de marques critiquables mais si des personnes choisissent d’acheter des Perles de Lait végétaux plutôt que des Perles de Lait au lait de vache, je le répète, c’est une victoire. Une victoire pour les animaux. Une avancée vers un monde meilleur.
Pouvoir pousser le raisonnement plus loin encore et associer son véganisme a une éthique alimentaire générale est évidemment un but en soi. Mais il s’agit d’un privilège de classe. Pas seulement pour des raisons financières – car en ne consommant aucun produit transformé et aucun produit d’origine animale, le coût des courses ne sera guère élevé – mais pour des raisons de temps. Temps qui permet l’accès à l’information et donc l’interrogation sur la provenance de ce que l’on mange, le questionnement sur quelle entreprise appartient à qui, mais aussi le temps de la cuisine. Les produits et les marques cités dans le post sont tous des produits transformés, donc des produits de facilité. Dans un monde capitaliste où le temps échappe aux plus précaires d’entre-nous, c’est une manière de rendre accessible le véganisme à d’autres classes sociales.
Toujours faire du mieux que l’on peut
Je reste partagée sur ce post Instagram que je trouve nécessaire d’un point de vue informatif mais un peu sévère et stratégiquement possiblement inefficace. Une chose est certaine, il est toujours possible de pousser plus loin notre éthique. Une condition me semble cependant nécessaire : la stratégie politique globale que l’on souhaite mettre en place. Je suis anticapitaliste et je suis antispéciste. Force est de constater que ces deux combats sont intrinsèquement liés mais aussi qu’un combat avance plus vite que l’autre : celui de l’antispécisme. Et tant mieux (je vais me faire des ami·e·s), car il s’agit de la mise à mort de plus de 1000 milliards d’individus chaque année. Nous ne sommes nous que 7 milliards et si le capitalisme tue et détruit des vies sans aucun doute, nous sommes bien loin d’être sur la même urgence.
Cependant, je reste persuadée que l’avancée de l’antispécisme dans le monde va dans le sens de l’avancée de la lutte anticapitaliste : un élargissement de l’empathie, une mise à mal d’une bonne partie du système industriel et une radicalisation des méthodes d’activisme. Il faut donc, comme toujours, faire du mieux que l’on peut et concilier au maximum l’antispécisme et l’anticapitalisme. Informer sur les pratiques véreuses des compagnies qui tentent de s’enrichir avec des produits végétaux est donc important mais il ne faut pas oublier que le véganisme est avant tout un combat pour les animaux.