Ca y est, la machine de l’Education Nationale a redémarré cette semaine et, cette année, un florilège de questionnements l’accompagne. Toutes les rentrées sont différentes, vous diront les profs. Oui, mais celle-ci est un petit peu plus différente que les autres.
Evidemment, je ne vous apprends rien en vous écrivant que le contexte sanitaire a bousculé notre quotidien professionnel. Après deux mois d’attente – le gouvernement n’ayant donné aucune information concrète sur le plan sanitaire avant le 27 août – les établissements et leurs équipes de direction ont du mettre en place des dizaines de nouvelles indications de fonctionnement des établissements scolaires.
Le masque, grande célébrité de cette reprise, ne fait pas tout, n’en déplaise aux annonces publiques de J.-M. Banquer. La réalité sanitaire du quotidien scolaire est bien plus complexe : sens de circulation au sein de l’établissement, désinfection des mains des élèves avant d’entrer en classe, distanciation sociale au self, usage restreint de la photocopieuse et de la salle des professeurs … L’adaptation du système scolaire à ces nouvelles contraintes dépasse de loin la seule obligation de porter un masque. Ces changements, d’apparence subtils, ont cependant un impact conséquent sur le métier. Car le sens de circulation réduit par deux la largeur du couloir donc entasse les élèves et provoque des bousculades ; c’est à l’enseignant de désinfecter unes à unes les mains des élèves et donc de prendre 5 minutes sur son temps de cours ; tous les horaires sont chamboulés pour laisser au self la possibilité de fonctionner en « deux services » afin de garantir la distanciation des tables ( car des élèves écartés équivaut à moins d’élèves en salle) ; les enseignants arrivent à l’établissement 1h en avance afin d’avoir le temps d’effectuer leurs photocopies sur l’unique machine qui est toujours en service mais qui doit être désinfectée sans arrêt.
Si « la rentrée se passe bien » selon le ministre de l’éducation nationale, c’est aussi parce que le corps enseignant a montré une fois de plus sa grande capacité d’adaptation tandis que les conditions de travail se détériorent de jour en jour.
Bien sûr, les adultes ne sont pas les seul.e.s concerné.e.s par cette rentrée hors du commun. Les élèves doivent eux-aussi s’adapter. Je vous laisse imaginer leur inconfort, leur volonté quasi permanente de retirer le masque ne serait-ce que de leur nez pour pouvoir respirer plus librement. La cour de récréation est jalonnée d’adolescent.e.s qui l’abaissent discrètement le temps d’un baiser volé ou d’un morceau de chewing-gum. Pour certain.e.s, c’est un équilibre social entier qui est remis en question : comment maintenir des relations similaires à celles du « monde d’avant » lorsque, dans un micro-monde où l’apparence domine, la moité du visage n’est plus visible ? Les plus fragiles d’entre eux ont perdu des lieux de refuge, comme les ateliers du midi (annulés jusqu’à nouvel ordre) ou la possibilité d’aller au CDI sans restriction d’élèves maximum autorisés.
Personnellement, certaines visions m’attristent. Les élèves de 6ème et leurs sacs trop gros n’ont plus que quelques centimètres de visage qui dépassent sous un masque lui aussi trop grand pour eux. Et que dire du climat anxiogène et pesant qui règne sur un lieu déjà source d’angoisses pour de nombreux élèves ?
Mais surtout, le métier de l’enseignement est avant tout un métier de rebond émotionnel : vous lisiez de l’incompréhension dans le regard d’un élève ? Vous simplifiez immédiatement la consigne. Cette élève a compris votre trait d’ironie ? Vous lui faites un clin d’œil discret. Or ces rebonds se compliquent peu à peu lorsque le visage n’est plus visible. Sans même parler des enseignant.e .s de langue, les professeur.e.s des écoles qui doivent apprendre les syllabes à leurs élèves,ou encore le personnel mal-entendant qui ne peut plus lire sur les lèvres pour communiquer…
Vous l’aurez compris, malgré ce que le gouvernement essaye de vous faire croire, non cette rentrée ne se passe pas bien. Le niveau de stress est élevé depuis le premier jour, autant pour les élèves que pour l’équipe éducative et les conditions matérielles comme immatérielles de travail se complexifient. Cette crise sanitaire fait ressortir les grands dysfonctionnements de l’éducation nationale et questionne (enfin !) la validité de notre système actuel. Beaucoup d’établissements n’ont pas une largeur de couloir nécessaire pour assurer un sens de circulation, il n’y a pas assez de profs pour mettre en place une distanciation sociale satisfaisante. Dans mon collège il n’y avait pas de savon dans les toilettes avant le mois de mars : faute de budget ? D’organisation ? Personne ne pourra me le dire mais ce que je sais c’est que tant que la France ne cessera pas d’être hypocrite et qu’elle ne consacrera pas un budget satisfaisant dans l’éducation, de nombreuses crises nous attendent. Crises sanitaires, politiques ou pédagogiques, elles posent toutes la même question : quand l‘école sera-t-elle enfin une véritable préoccupation du gouvernement ?